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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

régi par un ordre et un gouvernement doués d’unité. Pour qu’on pût introduire un tel mouvement dans le Monde, il faudrait que tout ce qui existe, que tout ce qui advient n’eût pas, avant soi, certaines causes dont il dépend d’une manière nécessaire. C’est, disent-ils, comme la production de quelque chose par le non-être ; l’existence sans cause est tout aussi impossible. Telle est donc la règle qui dirige le Monde ; évidente et immuable, elle se poursuit d’un passé infini à un avenir infini…

» Ce Destin, cette Nature, cette liaison suivant laquelle l’Univers est gouverné, ils le nomment Dieu (Τὴν δὲ εἱμαρμένη αὐτὴν ϰαὶ τὴν φύσιν ϰαὶ τὸν λόγον, ϰαθ’ ὅν διοιϰεῖται τὸ πᾶν, θεὸν εἶναι φασιν). Ils disent que ce Destin réside dans tout ce qui existe et dans tout ce qui se produit ; qu’il se sert ainsi de la nature particulière de chacun des êtres pour le gouvernement général du Monde. »

On ne saurait décrire avec plus de précision le déterminisme des disciples de Chrysippe.


VII
LES PRINCIPES DE L’ASTROLOGIE. APRÈS POSIDONIUS (suite).
LES ASTRES NE SONT PAS DES CAUSES, MAIS DES SIGNES. PLOTIN

On conçoit que nombre de disciples de Chrysippe et de Posidonius aient favorablement accueilli la thèse de ce déterminisme absolu, de ce fatalisme immanent au Monde ; elle était l’aboutissant naturel des enseignements de leurs maîtres ; elle ne faisait que développer cet axiome de Xénon et de Chrysippe : Toute cause est corps, τὸ αἴτιον σῶμα[1].

« Un trait caractéristique des philosophies qui ont pris naissance après celle d’Aristote, dit Émile Bréhier[2], est d’avoir rejeté, pour l’explication des êtres, toute cause intelligible et incorporelle. Platon et Aristote avaient cherché le principe des choses dans des éléments pénétrables à la pensée claire. C’est, au contraire, dans les corps que les Stoïciens et les Épicuriens veulent voir les seules réalités, ce qui agit et ce qui pâtit. Par une espèce de rythme, leur Physique reproduit celle des physiciens antérieurs à Socrate, tandis qu’après eux, à Alexandrie, renaîtra

  1. Voir : Chapitre V, § IX, t, I, p. 301.
  2. Émile Bréhier, La théorie des incorporels dans l’ancien Stoïcisme ; Paris, 1907, Introduction, p. 1.