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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

dans le Monde. Ce qu’il en dit mérite d’être écouté avec attention. Nous verrons plus tard quelle importance le débat sur la nécessité et la contingence a prise en Métaphysique, grâce aux méditations d’Al Fârâbi, des Motékallemin et, surtout, d’Avicenne et de son disciple Al Gazâli. Il est donc bien intéressant d’examiner quelle forme ce débat avait déjà prise au moment où, avec Al Kindi, l’intelligence arabe s’éveillait à la Philosophie.

Si Abou Masar est amené à traiter la question de la contingence, et cela sous une forme assez singulière, c’est afin de répondre à ceux qui nient l’utilité de l’Astrologie.

« Voici ce que disent, écrit-il[1], ceux qui, admettant la contingence (uirumlitet), s’efforcent de rendre vainc toute Astrologie :

» Toute chose de ce monde appartient nécessairement à l’un de ces trois modes :

» Ou bien elle est nécessaire ; ainsi le feu est nécessairement chaud.

» Ou bien elle est impossible ; ainsi le feu ne peut pas être froid.

» Ou bien, enfin, elle est contingente (utrumlibet) ; ainsi un homme peut écrire ou ne pas écrire.

» Or, en aucun de ces trois cas, l’effet des étoiles ne saurait se voir ». Par là, les philosophes dont parle Abou Masar entendent évidemment que les astres ne sauraient ni empêcher une chose nécessaire, ni faire une chose impossible, ni, enfin, déterminer une chose contingente qui, dès lors, ne serait plus libre, mais forcée. « Partant, concluent-ils, le rôle de l’Astrologie est vain et superflu. »

Pour éviter cette objection, dit Abou Masar, certains ont admis qu’il n’y avait, dans le monde, rien de contingent, (nihil utrumlibet). « Il leur a semblé qu’il y avait seulement deux modes, le nécessaire et l’impossible. En effet, disent-ils, tout le présent et tout le futur se partagent entre le oui et le non. Le oui correspond à l’être, le non au non-être. L’être est donc nécessaire et le non-être impossible. L’être et le non-être, en effet, étant « les contradictoires, ne peuvent être vrais, en même temps, de la même chose. Toujours, l’un des deux est vrai et l’autre faux. Tout ce qui est du côté du oui est donc nécessaire, et ce qui est du côté du non est impossible. Partant, rien n’est laissé à la délibération des hommes : à l’égard de chaque chose, ils sont ou contraints de la faire

  1. Albumasaris Introductorium, lib. I, cap. IV ; éd. cit., troisième fol. après le fol. sign. a 4 ro et vo.