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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE


phie fait tenir en haute estime qui ont opiné en faveur de cette incertitude et qui l’ont proclamée. »

Ce n’est donc pas à la Philosophie, dont les thèses discordantes sont tout au plus bonnes à engendrer le scepticisme, que Grégoire de Nysse demandera, au sujet de l’immortalité de l’âme, les certitudes dont il a besoin. Il est bien clair, cependant, que les diverses écoles profanes ne laisseront pas sa raison dans une complète indifférence. Il en est qui, sur leurs doctrines, attireront plus fortement les condamnations de l’évêque, tandis que d’autres lui sembleront professer des enseignements moins opposes au dogme catholique. Ainsi voyons-nous que l’Épicuréisme et le Stoïcisme lui répugnent par leur matérialisme[1] ; au contraire, le Platonisme, sans recevoir de sa bouche aucun aveu formel, dirige bien souvent les démarches de son esprit.

Ce Platonisme latent de Saint Grégoire de Nysse explique une méprise par laquelle son œuvre s’est trouvée longtemps enrichie d’un traité qu’il n’avait pas écrit.

À Strasbourg, chez Schurer, en 1512 ; à Paris, en 1513 ; à Bâle, en 1521, fut imprimé un traité intitulé : De homine, anima, elementis, viribus animæ, que Jean Conon de Nüremberg avait mis en latin et dont le texte grec était attribué à Grégoire de Nysse. Sous ce titre : Philosophiæ libri octo, le même traité fut compris dans certaines éditions latines des œuvres de Grégoire de Nysse, dans celle, notamment, qui fut donnée, à Bâle, en 1562.

Cet écrit, faussement attribué au frère de Saint Basile, était dû, en réalité, à Némésius, qui vivait à la fin du ive siècle et au commencement du ve siècle, et qui fut évêque d’Émèse en Syrie. L’auteur de ce traité l’avait intitulé : Περὶ ἄνθρωπου. Sous le nom de Némésius et sous le titre De homine, il fut publié à Anvers, en 1565, avec une version latine de Nic. Ellebodius Casellianus.

Le Περὶ ἄνθρωπου est un livre dont l’orthodoxie est irréprochable ; il pouvait, sans invraisemblance, être attribué à un Père de l’Église. Cependant, l’influence néo-platonicienne y est évidente et avouée. Plotin y est cité dès les premières lignes[2]. Plus loin, après avoir énuméré les diverses sectes qui professent, au sujet de l’âme, des opinions matérialistes, Némésius écrit[3] : « Contre tous ceux qui affirment que l’âme est un corps, il suffit, en géné-

  1. Saint Grégoire de Nysse, Op. laud., éd. cit., coll. 21-22.
  2. Nemesii epïscopi Emesæ De natura hominis cap. I [SS. Patrum Ægyptiorum Opera omnia, Præcedunt Philonis Carpasii, Asterii Amaseni, Nemesii Emeseni. Hieronymi Græci Scripta quæ supersunt. Accurante Migne (Patrologiæ græcæ t. XL), colt. 503-504].
  3. Némésius d’Émèse, Op. laud., cap. II ; éd. cit., Coll. 537-538.