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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE


exercé une très grande influence sur la Science du Moyen Âge chrétien.

En effet, lorsque la Chrétienté latine voudra s’initier à ce que l’Antiquité pensait du monde visible, elle puisera à deux sortes de sources, d’une part, elle lira des ouvrages que les Païens ont écrits en latin ; d’autre part, elle étudiera les Pères de l’Église ou, plutôt, le seul Père qui n’ait point dédaigné et passé sous silence les doctrines de la Science profane, Saint Augustin. Or, les auteurs latins du Paganisme qui seront lus avec le plus d’avidité dans les écoles latines du haut Moyen Âge, seront Chalcidius, Martianus Capella et Macrobe ; tous trois, ils enseigneront aux Chrétiens une Cosmologie néo-platonicienne. Ce sera encore cette Cosmologie néo-platonicienne que révéleront les divers ouvrages de Saint Augustin. Ainsi, jusqu’au milieu du xiie siècle, les Écoles de la Chrétienté latine, rompues à la Dialectique par l’étude de l’Organum d’Aristote, ignoreront à peu près tout de la Physique du Stagirite ; la connaissance du monde sensible que la Science antique leur aura révélée se réduira sensiblement à ce qu’ont enseigné le Timée et ses commentateurs.

De la préférence qu’il accorde au Néo-platonisme sur tout autre système philosophique, Saint Augustin, dans la Cité de Dieu, nous fait connaître les raisons. Citons, tout d’abord, celle qu’il invoque en dernier lieu :

« J’aime mieux, dit-il[1], discuter avec les Platoniciens, parce que leurs écrits sont plus connus. Les Grecs, dont la langue a la prééminence parmi les Gentils, les ont rendus célèbres en leur donnant une grande publicité ; quant aux Latins, vivement frappés de l’excellence ou de la gloire de ces écrits, ils les ont étudiés plus volontiers que les autres, ils les ont traduits en notre langue et, par là, ils en ont accru l’éclat et la popularité. »

Nombre de doctrines philosophiques et, en particulier, le Péripatétisme n’étaient accessibles qu’à ceux qui entendaient le Grec, soit qu’ils vécussent dans une contrée où le langage des Hellènes était d’usage courant, soit qu’ils eussent étudié cette langue des beaux esprits. Parmi les habitants moins cultivés du monde latin, ces doctrines demeuraient inconnues ; en particulier, les Chrétiens des terres occidentales de l’Empire n’avaient, pour ainsi dire, aucune idée de l’Aristotélisme. De cette ignorance, on pourrait trouver nombre de preuves. Lorsque

  1. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. VIII cap. X.