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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

Plotin est convaincu que toute génération accomplie dans la sphère sublunaire a pour principe l’Âme du Monde ; mais il éprouve de grandes hésitations lorsqu’il s’agit de dire comment s’opère cette action.

Dans l’Âme sont contenues les raisons génératrices (λόγοι γεννητιϰοί) qui sont les principes de toute formation d’un être nouveau[1]. Mais comment ces raisons produisent-elles ces effets au sein de la matière ? « Dirons-nous simplement que l’Âme est cause de toutes les choses engendrées, parce que celles qu’elle a engendrées tout d’abord engendrent, à leur tour, celles qui viennent ensuite ? Ou bien la raison [qui est dans l’Âme] a-t-elle sous sa dépendance chaque action particulière, chaque passion particulière ?… En outre, ces effets, sont-ce les raisons qui les accomplissent ? Ou bien ces raisons ne se comportent-elles pas comme des vues de ces effets plutôt que comme leurs causes efficientes ? »

Sur ce dernier point, Plotin semble être parvenu à fixer son doute.

« Ces raisons[2] qui sont dans l’Âme, sont-elles simplement des pensées (νοήματα) ? Mais comment l’Âme agira-t-elle par ces pensées ? Car la raison génératrice travaille dans la matière ; l’œuvre physique qu’elle y accomplit, ce n’est pas une connaissance ni une vue qui la peut faire ; il y faut une force capable de brasser la matière (δύναμις τρεπτιϰὴ τῆς ὕλης) ; il ne suffit pas d’une puissance de connaître, mais bien d’une puissance d’agir. »

Les raisons génératrices qui sont dans l’Âme sont donc des puissances actives, capables de mettre la matière en branle. Ces puissances. les âmes qui se rangent au-dessous de l’Âme du Monde se les transmettent, comme, de l’une à l’autre, les ondes qui se propagent à la surface de l’eau se transmettent le mouvement. L’Âme de l’Univers, immédiate émanation de l’intelligence, a reçu de l’intelligence la lumière et les formes ; à son tour, elle éclaire et informe les âmes qui se trouvent au-dessous d’elle ; enfin, l’âme qui réside au plus bas degré de la hiérarchie, semblable à un serviteur qui reçoit un ordre, se met au travail : « Ἡ δὲ ὥσπερ ἐπιταχθεῖσσα ἤδη ποιεῖ. Elle a reçu, en effet, la force nécessaire pour agir ; elle contient des raisons, encore que ce ne soient pas les premières », celles que l’intelligence a déposées, tout d’abord, dans l’Âme universelle ; elle peut donc imprimer des formes dans la matière.

Si hésitante que soit la pensée de Plotin au sujet de ces raisons génératrices (λόγοι γεννητιϰοί), nous pouvons affirmer, cependant,

  1. Plotini Enneadis IIœ lib. III, cap. XVI ; éd. Didot, p. 69.
  2. Plotini Enneadis IIœ lib. III, cap. XVI ; éd. Didot, p. 70.