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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


sent, elles le forcent à demeurer calme comme un étang, elles ne lui permettent plus de courir librement. »

De ces quatre causes, la seconde rappelle celle qu’invoquait Macrobe, puisqu’elle fait appel à ces quatre bras de l’Océan dont cet auteur admettait l’existence ; mais elle rappelle aussi, par l’absorption et le rejet alternatif des eaux marines qu’elle attribue à ces quatre bras, la théorie de Paul Diacre. Déjà, d’ailleurs, dans l’exposition même de la théorie lunaire, Giraud se souvenait de l’hypothèse de l’Historien des Lombards : « Lorsque la Lune passe au méridien, disait-il, toujours l’Océan, ramenant au fond de réservoirs cachés les ondes qui sont ses suivantes (ad occulta receptacula pedisequas revocans undas), délaisse entièrement les côtes orientales de l’Angleterre. »

Dans un autre passage, nous l’entendrons mentionner, d’une manière plus formelle encore, l’existence de ces abîmes ou les eaux de la mer s’engouffrent au moment du reflux, d’où elles débordent tumultueusement au moment du flux ; mais par une combinaison de cette supposition avec celle de Macrobe, ces gouffres seront au nombre de quatre et chacun d’eux va être attribué à l’un des quatre bras de l’Océan. Giraud nous parle de ces gouffres en des termes[1] où nous reconnaissons qu’il avait eu, touchant la position du Maelstrœm, des renseignements exacts.

« Non loin des îles de la région boréale, il existe, en mer, un tourbillon (vorago) surprenant. De très loin et de tous côtés, les flots de la mer, comme par un complot, confluent et concourent vers ce tourbillon ; là, ils s’épanchent dans des cavernes secrètes cachées par la nature ; ils sont, pour ainsi dire, dévorés par l’abîme.

» S’il advient à quelque navire de passer par là, si grande est la violence des flots qui le ravissent et l’attirent, que la force vorace l’absorbe tout aussitôt d’une manière irrévocable.

» Les philosophes décrivent, dans l’Océan, quatre semblables tourbillons qui se trouvent en quatre parties opposées du monde. Quelques personnes supposent que ces tourbillons sont les causes non seulement des marées, mais encore des vents éoliens. »

Au temps où Giraud de Barri écrivait, sur les marées, les passages que nous venons de rapporter, la traduction en Latin de l’Introductorium in Astronomiam d’Abou Masar était déjà répandue ; elle allait remettre en honneur la théorie astrologique qui attribue les marées à l’action de la Lune ; mais cette théorie lunaire

  1. Giraldi Cambrensis Op. laud., dist. II, cap. XIV : De voragine naves absorbente. Giraldi Cambrensis Opera, éd. cit, vol. V, pp. 96-97).