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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/192

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LE TRIBUT DES ARABES


ont été l’œuvre d’un seul Dieu ; et qu’à ce Dieu seul est dû l’hommage du culte. L’utilité de ce livre consiste à faire connaître Dieu par ses œuvres, ce Dieu à qui seul doit être rendu le culte religieux. »

Pourvu que son interprétation ne formule rien qui aille à l’encontre de cette intention qu’il attribue à Moïse et de cet objet qu’il assigne à la Genèse, Thierry laissera la raison libre de commenter à sa guise le texte relatif à l’œuvre des six jours. Cette liberté permet, d’ailleurs, au génial Ecolàtre de Chartres, les plus hautes envolées ; elle nous vaut, sur la génération du Verbe, des pages d’une extraordinaire puissance qu’au xve siècle, Nicolas de Cues n’hésita pas à incorporer presque textuellement dans sa Docta ignorantia [1].

L’audace de Thierry n’est guère moindre lorsqu’il commente le récit de l’œuvre des six jours ; à grands traits, il esquisse une théorie purement physique de l’évolution du Monde.

Dès l’instant de sa création, le feu, qui forme la partie externe de la sphère des éléments, dut, pour des raisons auxquelles nous reviendrons tout à l’heure, se mettre à tourner sur lui-même ; chaque révolution complète du feu constitua un jour naturel. Quels furent lçs effets produits durant chacune des révolutions de ce feu ? Thierry va leç énumérer en les déduisant successivement d’un unique principe de Physique : Le feu a deux vertus, la splendeur et la chaleur ; par la splendeur, il illumine ; par la chaleur, il divise les solides et les liquides ; c’est donc seulement dans l’élément terrestre et dans l’élément aqueux que la chaleur peut se faire sentir ; l’air pur ne peut être échauffé, mais seulement illuminé par la splendeur ; si, parfois, l’air nous parait capable d’échauffement, c’est parce qu’il est souillé d’éléments inférieurs, de parties aqueuses ou terrestres.

Déjà reçu au temps de Platon et d’Aristote, ce principe n’avait cessé d’être adopté par les Pères de l’Église et par les Scolastiques ; sous sa forme quelque peu naïve, il renfermait d’ailleurs une grande vérité, celle qu’en langage moderne, nous exprimerions ainsi : La lumière n’échauffe pas les milieux parfaitement transparents qu’elle traverse ; pour qu’elle produise de la chaleur, il faut qu’elle soit reçue en un milieu absorbant.

En vertu de ce principe, le feu va, dès sa première révolution, illuminer l’air, puis, par l’intermédiaire de cet air, échauffer l’eau et la terre ; voyons quels seront, durant les conversions sui-

  1. Pierre Duhem, Thierry de Chartres et Nicolas de Cues (Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 3e année, p. 525 ; 1909).