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LE SYSTÈME D’HÉRACLIDE AU MOYEN ÂGE

Rhaban Maur est un mystique ; le Pseudo-Bède est un rationaliste. De son traité, les interprétations symboliques et allégoriques ont été complètement chassées ; les citations de l’Écriture et des Pères ont entièrement disparu. Il semble que cet auteur ait conçu nettement l’idée, si familière a partir du xiiie siècle, d’une science naturelle exclusivement fondée sur les données de la raison et pleinement indépendante de la Révélation.

Cette pensée, si différente de celle qui inspirait Isidore de Séville et surtout Rhaban Maur,, apparaît avec une netteté particulière là même où le Pseudo-Bède subit le plus visiblement l’influence de l’Évêque espagnol. Un exemple nous le montrera.

Après avoir admis qu’un ciel aqueux se trouve au-dessus du firmament, Isidore, à la suite de Saint Ambroise, examine cette objection [1] : Comment ces eaux peuvent-elles demeurer au-dessus du firmament dont les divers orbes tournent avec une grande rapidité, alors que cette rotation même devrait avoir pour effet de les répandre ? À l’encontre de cette objection, l’auteur du De natura rerum liber ne trouve à invoquer qu’une intervention miraculeuse de la Toute-Puissance divine : « Celui qui, de rien, a pu créer toute chose, n’a-t-il pu fixer dans le Ciel la nature de ces eaux en lui conférant la solidité de la glace ? »

Le Pseudo-Bède, lui aussi, pose l’objection [2] qu’ont examinée successivement Ambroise et Isidore. Mais, pour réfuter cette objection, il propose [3] un certain nombre d’hypothèses qui, toutes, invoquent les lois habituelles de la Physique.

La première de ces hypothèses est bien digne de remarque ; elle est ainsi formulée : « Ces eaux tournent avec tant de vitesse qu’elles ne tombent pas ; c’est ce que chacun peut expérimenter avec un vase plein ; plus est rapide le mouvement de révolution que la main imprime à ce vase, moins il laisse couler l’eau qu’il contient ». Aristote, lui aussi, cite [4] cette observation ; Empédocle l’invoquait, assure-t-il, lorsqu’il attribuait le repos de la Terre au mouvement du Ciel. Plutarque, de son côté, aurait pu inspirer le Pseudo-Bède ; selon lui [5], c’est le mouvement de révolution de la Lune qui supprime la gravité de cet astre et l’empêche de choir au centre du Monde. Mais il est fort douteux que le Pseüdo-Bède ait pu connaître ces auteurs.

1. Isidohi HispaleN31s Dénatura rerum liber ;-cap. XIV. De àquis quæ super cælos sunt.

2. Bède le Vénérable, toc. cit., col. 8q3 : De frigore Saturni.

3. Bède le Vénérable, Igc. cit., col. 8g3 : De SupercælestibUâ aquls.

4- Aristote, nspi Oùpavoü rô B, ay (De Ccclo et Mundo, lib. 11, cap. XIII).

5. Plutarque, flipt toü ïptÿftîVop&ôu rw tfsXïJVïjç, Z (De facie quœ apparet in orbe Lutice, VI). —■ Voir : Première partie, Ch. Xfll,§Xll ; t. fl, p. 363.

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