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L’ASTRONOMIE PARISIENNE. — II. LES PHYSICIENS

ductible qui existe entre les principes les plus essentiels de la Physique péripatéticienne et l’Astronomie de Ptolémée.

Les autres objections faites au système de l’Almageste ne paraissent guère peser dans l’estime d’Albert de Saxe ; il en est une, cependant, à laquelle il s’attarde quelque peu et dont il donne une solution intéressante [1].

« Il n’y a pas de raison pour attribuer un épicycle aux planètes plutôt qu’à la Lune ; or la Lune n’a pas d’épicycle ; en effet, si la Lune avait un épicycle et qu’elle fût entraînée par le mouvement de cet épicycle, l’image qu’on voit dans la Lune, cette figure d’un homme qui porte un fagot d’épines sur le dos, devrait parfois sembler renversée, ayant les pieds en haut et la tête en bas. »

L’objection avait déjà été formulée par Roger Bacon, et Bernard de Verdun avait tenté d’y répondre. Richard de Middleton l’avait résolue en attribuant au corps même de la Lune une rotation de sens contraire à celle de l’épicycle, et de même durée que cette dernière ; mais en la présentant, il avait commis une inadvertance. Cette inadvertance, nous l’avons vu au paragraphe précédent, s’était reproduite sous la plume de Jean Buridan lorsque ce dernier avait exposé cette objection à laquelle il attribuait une grave importance. Or, visiblement, c’est à Buridan qu’Albert de Saxe emprunte, sans la corriger, la formule de cette objection ; c’est aussi l’argumentation de Jean Buridan que ses raisonnements vont s’efforcer de réfuter.

Il rappelle, d’abord, la solution admise par Richard de Middleton et déjà indiquée par Roger Bacon : « Certains disent que, non seulement, la Lune prend part aux mouvements de son déférent et de son épicycle, mais encore, en l’épicycle, qu’elle se meut sur elle-même, en sens contraire du mouvement de l’épicycle ; dans le temps que l’épicycle fait une révolution autour de son centre, la Lune, elle aussi, fait, en sens contraire, une révolution autour de son propre centre ; on peut expliquer ainsi que l’image qui se trouve en la Lune paraisse toujours semblable à elle-même. »

Les adversaires des épicycles refusaient de se rendre à cette raison ; si l’on attribuait à la Lune un mouvement de rotation sur elle-même, il fallait en attribuer un tout semblable aux planètes ; mais alors ces planètes tournant toujours la même face vers la Terre, les influences qu’elles exercent sur les choses sublunaires ne changeraient pas au cours de leurs révolutions, à l’inverse de ce qu’enseigne l’Astrologie.

Albert de Saxe n’hésite pas à supposer que la Lune est animée

  1. Albert de Saxe, Op. laud., lib. II, quæst. VII.