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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/115

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

l’air doit entourer en totalité la surface de l’eau. Mais selon l’ordre de la nature universelle, il n’en est pas ainsi, et cela en vue de la génération des animaux et des plantes à la surface de la terre. La nature universelle, en effet, a cette intention, et elle ne la pourrait accomplir si l’air, pris en sa totalité, logeait et entourait l’eau. »

Voilà donc la nature universelle, véritable deus ex machina, chargée d’expliquer ce que Guillaume d’Auvergne attribuait à l’action miraculeuse de Dieu.

Cette nature universelle va, d’ailleurs, intervenir de nouveau lorsqu’il s’agira de répondre à cette question : Le lieu de la terre, est-ce l’eau ou bien le centre du Monde ? Voici la solution que propose Bacon :

« Je dis que le centre du Monde n’est pas le lieu de la terre, car il ne remplit aucune des conditions d’un lieu ; c’est donc la surface [interne] de l’eau qui sera le lieu de la terre.

» Je dis, toutefois, qu’il y a deux centres du Monde.

» Il y a un centre qui, sous le rapport de la grandeur comme sous le rapport de la nature, est absolument indivisible ; ce centre-ci n’est pas le lieu de la terre ; c’est un tel centre que l’on conçoit au milieu de la terre.

» Il y a un autre centre qui est la partie ultime de l’eau ; dans le genre que constitue le lieu, ce centre est un minimum ; il est, en effet, la dernière chose et la plus petite qui participe de cette admirable puissance du lieu, de cette influence dont nous avons parlé ; considéré comme appartenant au genre : lieu, il est indivisible, car une plus petite chose ne peut rien avoir de cette nature diffusée par le ciel. Cette nature, elle réside dans le lieu du feu sous sa plus noble manière d’être ; le mode d’existence le moins noble dont elle soit capable, elle le possède dans la partie ultime de l’eau ; si elle avait une moindre existence, elle ne serait plus lieu. »

Ainsi le recours à cette nature universelle permet à Bacon de tirer la Physique péripatéticienne de tous les mauvais pas où la théorie du lieu naturel l’a engagée.

Bacon ne paraît pas être revenu, par la suite, au problème de l’existence de la terre ferme.

Dans l’Opus majus, il se propose[1] de démontrer que le Monde est sphérique en suivant la voie qu’Aristote avait tracée au

  1. Fratris Rogeri Bacon Opus majus, pars IV, cap. X ; éd. Jebb, pp. 94-97 (marqué cap. IX) ; éd. Bridges, vol. I, pp. 152-157.