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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/182

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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

« chacune des parties du fluide est pressée par tout le fluide qui est verticalement placé au-dessus d’elle. — Ἕκαστον τῶν μερέων αὐτοῦ θλίβεσται τῷ ὑπεράνω αὐτοῦ ὑγρῷ κατὰ καθετον ἐόντι. » Et pour évaluer cette pression supportée par une surface, ce que calcule Archimède, c’est toujours le poids de ce qui se trouve, suivant la verticale, superposé à cette surface.

Mais s’il est d’accord avec Aristote au sujet du principe qu’il admet, Archimède rectifie la conclusion fausse que le Stagirite en avait tirée. « Un corps solide plus lourd qu’un fluide et plongé dans ce fluide, dit-il[1], devient plus léger d’une quantité égale au poids du liquide qui aurait un volume égal au volume du solide. — Τὰ βαρύτερα τοῦ ὑγροῦ ἀφεθέντα… ἐσσοῦνται κουφότερα ἐν τῷ ὑγρῷ τοσοῦτον, ὄσον ἑχει τὸ βάρος τοῦ ὑγροῦ τοῦ ταλικοῦ τὸν ὄγκον ἔχοντος, ἁλικος ἐστὶν ὁ τοῦ στερεοῦ μεγέθος ὄγκος. »

Lorsqu’on gonfle une outre, le poids de cette outre augmente du poids de l’air qu’on insuffle entre ses parois ; mais son volume augmente, en même temps, du volume de cet air ; pesée dans l’air, donc, elle gardera, d’après la règle d’Archimède, un poids apparent égal à celui qu’elle avait lorsqu’elle était vide ; elle ne sera pas plus lourde, comme le prétendait Aristote.

Peu de pensées demeurèrent plus longtemps et plus complètement méconnues que les géniales découvertes d’Archimède. Les règles qu’il avait tracées pour déterminer ce que pèse un corps plongé dans un fluide, furent universellement admises ; mais le sens en fut universellement incompris ; on n’y vit pas les conséquences des pressions qu’un fluide, pesant dans son propre domaine, exerce sur tout corps qui prend sa place ; on y vit simplement l’affirmation qu’une masse fluide n’est pas pesante lorsqu’elle est entourée de tous côtés par le fluide qui lui est identique ; et cette affirmation, on la transforma d’une manière insensible en cette autre : Un fluide qui réside en son lieu naturel ne pèse pas.

Cette inintelligence de la pensée d’Archimède est bien frappante dans le traité de Héron d’Alexandrie[2], qui cite le Περὶ ὀχουμένων du grand Syracusain et prétend s’autoriser de la doctrine exposée par cet ouvrage.

  1. Archimède Op. laud., VII ; éd. cit., pp. 332-334.
  2. Heronis Alexandrini Spiritalium liber. A. Federico Commandino Urbinate, ex Graeco, nuper in Latinum conversus. Urbini, MDLXXV. Fol. 7, vo ; fol. 8, ro et vo.