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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/189

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE


III
l’équilibre de la terre.
le scepticisme de jean buridan


Les discussions dont nous venons de retracer l’esquisse auront d’importantes conséquences, lorsque le temps sera venu d’étudier l’équilibre du système formé par la terre et par l’eau. Pour le moment, c’est l’équilibre de la terre qui va seul retenir notre attention.

Si Aristote a été conduit à émettre quelques pensées touchant l’équilibre de la masse terrestre[1], si ses commentateurs et, en particulier, Alexandre d’Aphrodisias ont été amenés à développer ces pensées, c’est qu’un point délicat de la Physique péripatéticienne les y avait sollicités.

Le lieu de la terre, c’est le centre du Monde ; pour que la terre demeure en repos, il faut qu’elle réside au centre du Monde ; c’est vers le centre du Monde qu’elle se meut de mouvement rectiligne, quand elle n’est pas en son lieu naturel. Mais le centre du Monde est un point sans étendue ; ni la terre entière, ni une masse de terre, si petite qu’on la suppose, ne se réduit à un simple point. Dès lors, dans une masse de terre, quel est le point qui assurera le repos de la masse entière en se plaçant au centre du Monde ? Quel est le point qui se dirigera en droite ligne vers le centre du Monde pendant que la masse se mouvra de mouvement naturel ? Telles sont les questions auxquelles Aristote et ses commentateurs s’étaient efforcés de répondre.

De ces deux questions, la seconde, nous l’avons vu[2], s’était offerte déjà à la vive imagination de Roger Bacon.

Aristote n’avait rien conçu, en sa Physique, qui fût analogue à notre notion de masse ; pour qu’un corps, soumis à une certaine puissance, pût se mouvoir avec une vitesse finie, il fallait qu’une certaine résistance le retînt ; en l’absence de toute résistance, il parviendrait instantanément au terme de son mouvement. Un grave, par exemple, soumis à sa seule pesanteur, atteindrait le sol au moment même qu’il serait libre de tomber ; si sa chute dure un certain temps, c’est qu’une certaine résistance lutte contre la gravité dont il est

  1. Voir : Première partie, ch. IV, § XIV ; t. I, pp. 215-219.
  2. Voir : Chapitre précédent, § IV, p. 112.