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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/210

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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

on le voit par les montagnes ; néanmoins, au cours des temps, toute chose descendra et se précipitera vers le centre du Monde ; il semble que ce soit là la cause de la rotondité de la terre.

» Par là on peut connaître que si la terre était fluide comme l’eau, de telle sorte que ses diverses parties ne se soutinssent pas l’une l’autre, elle coulerait vers une rotondité uniforme et une sphéricité parfaite. »

Revenons à la chute d’un grave vers le centre du Monde. Roger Bacon avait, à ce sujet, soulevé une question embarrassante que Jean Buridan connaissait bien, qu’Albert de Saxe connaît également ; mais tandis que Buridan l’écartait au nom des principes de l’Occamisme, Albert la résout dans le sens du Péripatétisme le plus pur[1].

Cette difficulté consiste à prétendre « que les parties d’un même grave s’entravent mutuellement, parce que chacune d’elles a une inclinaison à descendre par la ligne la plus courte ; et comme, seule, la partie moyenne descend par une telle ligne, elle gêne les parties latérales ; par suite de cet empêchement mutuel des diverses parties, les graves simples se meuvent dans le temps », même s’ils tombent dans le vide.

Mais, dit Albert, « cette raison ne peut tenir. En premier lieu, elle prétend que chacune des parties d’un même grave tend à descendre par la ligne la plus courte ; cette raison n’est pas valable ; chacune des parties ne tend pas à ce que son centre devienne le centre du Monde, ce qui serait impossible. C’est le tout du grave qui descend de telle sorte que son centre devienne le centre du Monde ; et toutes les parties tendent à ce but que le centre du tout devienne le centre du Monde ; elles ne s’entravent donc pas l’une l’autre… »

Voilà formulée la doctrine dont Albert va faire de multiples applications ; le désir de s’unir au centre du Monde n’appartient point en propre à chaque partie d’un grave, de telle sorte que le désir d’une partie puisse se trouver en compétition avec le désir d’une autre partie ou le contrecarrer ; tous ces désirs s’unissent en un seul ; ils concourent à placer au centre du Monde un point du grave qu*Albert, ici, nomme simplement le centre, qu’il nommera constamment ensuite le centre de gravité ; dans une chute libre, c’est ce point qui se dirige en droite ligne vers le centre du Monde.

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de physico auditu, lib. IV, quæst. V.