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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/24

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LA THÉORIE DES MARÉES

Pour bien voir quelle portée a cette doctrine de Saint Thomas, il la faut comparer à l’adage que nous avons entendu formuler par Guillaume d’Auvergne, par Albert le Grand, par Barthélémy l’Anglais : La Lune meut la mer comme la pierre d’aimant meut le fer.

Rappelons-nous la théorie, très conforme à la nôtre, si l’on en veut bien traduire l’expression, qu’Averroès, et tous les Scolastiques après lui, donnaient de l’action de l’aimant sur le fer[1]. L’aimant imprime une certaine qualité à l’air qui l’environne ; cette qualité se propage dans l’air jusqu’au morceau de fer ; celui-ci prend, à son tour, une qualité semblable, et c’est en vertu de cette qualité que le morceau de fer se dirige vers la pierre d’aimant. Qu’on donne à cette qualité le nom de polarisation magnétique et l’on retrouvera la notion des actions magnétiques, telles que nous avons accoutumé de la concevoir.

Saint Thomas d’Aquin ne veut pas que l’on conçoive de cette façon l’action de la Lune sur les eaux de la mer. Pour mettre ces eaux en mouvement, la Lune n’a aucun besoin d’y produire, d’y imprimer quelque qualité analogue à la polarisation magnétique que le fer induit dans l’aimant ; sans le secours d’aucune forme ou vertu de ce genre, la Lune applique aux eaux de la mer une force motrice.

La pensée de Saint Thomas n’est-elle pas, elle aussi, très moderne ? N’a-t-il pas clairement aperçu et marqué la distinction que nous établissons entre les attractions électriques et magnétiques, d’une part, qui supposent l’électrisation ou l’aimantation par influence du corps primitivement à l’état neutre, et l’attraction de gravitation, d’autre part ?

Au Moyen-Âge, on ne remarqua pas la clairvoyance extraordinaire dont Saint Thomas d’Aquin avait fait preuve ; on ne trouvait, en effet, à cette époque, rien qui signalât l’importance de la distinction qu’il avait établie ; la comparaison avec l’attraction magnétique demeura longtemps la moins inexacte de celles auxquelles on recourait lorsqu’on voulait rendre compte de l’action de la Lune sur les eaux de la mer.

Parmi les opuscules de Saint Thomas d’Aquin, on trouve un petit traité qui a pour titre : Du destin. Ce traité est apocryphe[2]

1. Voir : Première partie, ch. IV, § XVII ; t’. I, p. 238-239.

2. P. Mandonnet, O. P., Des écrits authentiques de Saint Thomas d’Aquin, p. 96 et p. 130 (Extrait de la Revue Thomiste, 1909-1910).

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