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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/301

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

pour rendre le raisonnement plus convaincant, mettons que cent pieds du cours du fleuve correspondent seulement à un pied de hauteur ; alors deux cents lieues de cours feront deux lieues de hauteur. Ainsi la plaine qui se trouve au pied des montagnes surpasse de deux lieues le niveau de la mer, et les très hautes montagnes le surpassent de quatre lieues. »

Buridan raisonne juste ; mais les mesures qui lui servent de données sont trop grandes de beaucoup.

Il avait au moins une fois fait le voyage d’Avignon ; ce voyage lui avait fourni des observations et laissé des souvenirs qui remplissent ses Questions sur les Météores.

Nous savons ainsi qu’à son retour, il avait passé par Carpentras et Pont-Saint-Esprit[1]. À partir de Pont-Saint-Esprit, il avait certainement suivi l’antique Voie Régordane, qui remontait la vallée de l’Ardèche et du Chassezac, franchissait la ligne de partage des eaux à la Garde-Guérin pour descendre ensuite dans la vallée de l’Allier. Les Cévennes, qu’il nomme constamment Montagnes de la Régordane, Montes Ricordaniæ, avaient vivement frappé son imagination de Picard habitué aux pays plats. Il avait certainement profité de son séjour en Avignon pour faire l’ascension du Mont Ventoux ; du village de Bédouin à la crête du mont, il avait dû mettre six heures de marche ; calculant alors comme s’il avait cheminé en plaine, il en avait conclu qu’il avait fait six lieues. Il arrivait ainsi à donner au Mont Ventoux, au-dessus du niveau de la mer, le double de la hauteur de l’Himalaya.

Ces évaluations exagérées, en tous cas, ne donnaient que plus de force à la seconde conclusion que formule notre auteur : « Par voie naturelle, il est impossible qu’il se produise un déluge universel, c’est-à-dire que la terre entière soit recouverte par les eaux, bien que Dieu le puisse faire par voie surnaturelle. » La conversion en eau de toute la masse de l’air n’y suffirait pas.

« Venons maintenant à ce point douteux. L’hémisphère terrestre qui, aujourd’hui, est regardé comme habitable sera-t-il quelque jour recouvert en entier par la mer, et l’hémisphère qui est à présent sous l’Océan deviendra-t-il quelque jour habitable ?

» Comme nombre de parties de la terre se meuvent ou sont engendrées, pour éviter toute chicane, j’imagine une suppo-

  1. Johannis Buridam op. laud.. I, quæst. XVIII î ms. cit., fol. 104, col. b.