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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/351

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

plirait ainsi d’Occident en Orient ; il en résulterait donc que notre habitation se trouve à la droite du Ciel et à la partie supérieure [de la terre], comme le dit Aristote. Il semble fort raisonnable qu’il en soit ainsi, car la droite est plus noble que la gauche et le haut que le bas. Or la partie habitable de la terre est plus noble que les parties inhabitables ; il est donc raisonnable qu’elle se trouve à droite. Notre pôle paraît également plus noble que le pôle opposé, car les étoiles qui l’entourent sont plus nombreuses et plus grandes ; il est donc raisonnable qu’il soit en haut.

» Enfin, la dernière persuasion, c’est celle-ci : S’il vaut mieux sauver les apparences par des moyens peu nombreux que par des moyens nombreux, aussi vaut-il mieux les sauver par une voie plus faible que par une voie plus difficile. Or un petit corps est plus facile à mouvoir qu’un grand ; mieux vaut donc dire que la terre, qui est extrêmement petite, est en mouvement et que la sphère suprême est en repos que de dire le contraire.

» Toutefois, cette opinion n’est pas soutenable.

» D’abord, elle va contre l’autorité d’Aristote. Ses partisans, il est vrai, répondent qu’autorité n’est pas démonstration. D’ailleurs, disent-ils, il suffit à l’Astronome de supposer un moyen de sauver les apparences, qu’il en soit ainsi ou non [dans la réalité] ; or, des deux façons, les apparences sont sauvées ; ils peuvent donc admettre celle des deux qui leur plaît davantage. — Sed illi respondent quod auctoritas non demonstrat, et quod sufficit astrologo ponere modum per quem salventur apparentia, sive sit ita sive non ; utroque autem modo salvantur ; ideo possunt ponere quod placet eis. »

Ce dernier langage n’est pas de Nicole Oresme ; il mérite que nous nous arrêtions un instant pour le recueillir.

Que les hypothèses de l’Astronomie n’affirment rien de la réelle nature des choses célestes, qu’elles soient simplement des artifices propres à sauver les apparences (salvare apparentia, σῴζυειν τὰ φαινόμενα), c’est, nous le savons, une très ancienne opinion des philosophes hellènes et très répandue parmi eux[1]. Déjà Posidonius ou son abréviateur Géminus considéraient comme un tel artifice le mouvement attribué à la terre par Héraclide du Pont ou par quelque autre physicien grec[2]. Mais cette

  1. Première partie, ch. X ; t. II, p. 59. s.
  2. Première partie, ch. VII, § IV ; t. I, pp. 410-418 ; ch. X, § 11 ; t. II, p. 74.