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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/405

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

avec une fermeté, avec une ampleur que Plutarque n’avait pas atteintes. Ce maître, c’est Nicole Oresme. Oresme avait-il lu le traité Sur le visage qui se voit dans le disque de la Lune ? Il ne le cite pas et il ne paraît pas qu’il le connaisse. La lecture du Timée et ses propres méditations ont suffi, sans doute, à lui suggérer des pensées semblables à celles de Plutarque ; très certainement aussi, les objections de Guillaume d’Ockam contre l’argument opposé par les Péripatéticiens à la pluralité des Mondes l’ont pressé de rechercher une autre théorie de la pesanteur.

Cette influence d’Ockam se reconnaît aisément au chapitre du Traité du Ciel et du Monde qui porte ce titre[1] :

« Ou XVIe chapitre, il propose assavoir mon se plusieurs mondes sont ou peuvent estre et prouve que non par II raisons. »

Le chanoine de Rouen expose la démonstration par laquelle Aristote prétend établir que s’il existait deux mondes, la terre de l’un d’eux se porterait au centre de l’autre ; puis il poursuit en ces termes[2] :

« Jo fis autrefois un fort argument contre ceste raison.

» Supposé, par ymaginacion, que, ou centre de cest monde, soit une porcion de l’élément du feu, tellement que la moitié de elle soit d’une part du centre et l’autre moitié d’autre ; et soit le centre A, et une moitié B, et l’autre C. Et posé on met que tout ce soit osté, qui pourroit empescher le mouvement naturel de ce feu.

» Doncques conviendroit-il que chascune de ces II parties montast en hault, chascune de sa part, vers la circonférence, et se esloigneroient l’une de l’autre et départiroient.

» Item, se ces II parties de feu estoient conjointes en une espère[3], tellement que une partie ne se peust séparer ou deviser de l’autre, et tout autre empeschement fust hors, ceste petite espère ou porcion de feu ne se mouvroit, car l’en ne pourroit assigner cause pourquoy elle se transist plus à une partie de la circonférance que à autre ; mes se elle estoit hors le milieu, elle iroit vers la partie de la circonférance dont elle seroit plus près.

» Et tout ceci est à octroier selon la philosophie de Aristote. »

Nous reconnaissons la pensée de Guillaume d’Ockam ; nous

  1. Nicole Oresme, Le traité du Ciel et du Monde, livre I, ch. XVI. (Bibliothèque Nationale, fonds français, ms. no 1.083, fol. 14, col. d.)
  2. Nicole Oresme, loc. cit., fol. 15, col. c.
  3. Espère = Sphère.