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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/407

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Je di que, quant à présent, il me semble que l’en puet ymaginer plusieurs mondes estre en III manières.

» Une, que un monde soit après un autre par succession de temps, si comme aucuns anciens considèrent que cest monde eust commencement.

» Mes ceste opinion ne est pas ici conclue, et est réprouvée par Aristote en plusieurs lieux de philosophie, et ne puet ainsi estre naturèlement, combien que Dieu pourroit faire et puet avoir fait tellement de sa toute-puissance, ou du tout adnichiler cest monde, et après créer un autre. Et ainsi disoit Origènes, sicomme récite Saint Jérôme, que ainsi fera Dieu par innombrables fois.

» Une autre ymagination puet estre, à quelle je vueil tractier par esbatement et pour exercitation de engin ; c’est assavoir que, en un meisme temps, un monde fust dedens un autre, sicomme se, dedens et dessoubs cest monde, estoit contenu un autre monde semblable et mendre Et combien que ce ne soit pas voir ne vraysemblable, toutevoies il me semble que il n’appert pas évidemment par raison que ce soit impossible. »

Après avoir, « par ébattement et pour exercitation de engin », développé cette assez singulière supposition, Oresme poursuit ainsi[1] :

« Mes aussi, que tels mondes soient, il n’appert ne par raison, ne par expérience, ne autrement. Et doncques, l’en ne doit pas, pour nient ne sans cause, adeviner ne mètre une chose estre, qui ne appert aucunement, ne soustenir une opinion dont le contraire est vraysemblable ; mes il est bon d’avoir considéré se c’est impossible.

» La tierce manière de mètre plusieurs mondes est que un soit du tout hors de l’autre en une espace ymaginée, si comme cuida Anaxagoras ; et ceste seule manière réprouve ici Aristote. »

C’est afin de montrer le peu de fondement des arguments d’Aristote que Nicole Oresme nous va maintenant exposer sa théorie nouvelle du lieu naturel des éléments et de la pesanteur. Voici, en effet, quelle est la suite de son discours[2] :

« Mes il me semble que ces raisons ne concludent pas évidemment ; car la première et la plus principale est que se plusieurs telz mondes estoient, il s’ensuivroit que la terre de l’autre monde fust encline a estre meue au centre de cestui et ecorwerso

  1. Nicole Oresme, loc. cit., fol. 20, col. d.
  2. Nicole Oresme, loc. cit, fol. 20, col. d, et fol. 21, col. a, b et c.