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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/410

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LA PLURALITÉ DES MONDES

également violents ; pour choisir celle des deux épithètes qu’il convient d’attribuer à l’un d’eux, il faut connaître le milieu au sein duquel l’air se trouve.

Cette opinion, qui se déduit d’une manière forcée des principes posés au Timée, est en formelle contradiction avec la Physique d’Aristote ; car, selon cette Physique, à un corps simple convient un seul mouvement naturel, toujours circulaire, toujours centripète ou toujours centrifuge. Or, Oresme admet pleinement l’opinion platonicienne ; il l’expose avec soin et il se plaît à faire ressortir l’opposition qu’elle offre à la théorie péripatéticienne du mouvement naturel.

Le Doyen du chapitre de Rouen s’exprime en ces termes[1] :

« Posé par ymagination que un tuel ou canal de cuivre ou d’autre matière soit si long que, du centre de la terre, il ataigne iusques à la fin de la région des élémens, ce est iusques au ciel.

» Je dis que se ce tuel estoit plain de feu, fors un petit de aer qui fust par dessus tout au bout de hault, cest aer descendroit iusques au centre de la terre, car tousjours le moins légier descent soubs le plus légier.

» Et se cest tuel estoit plain d’eaue fors que cest tantet de aer fust près du centre, cet aer monteroit iusques au ciel, car tous jours monte aer en eaue naturelment. Et par ce appert que aer puet naturelment descendre et monter par le semi-dyamètre de l’espère des élémens. Et ces deux mouvemens sont simples et contraires, et doncques un simple corps est mouvable naturelment par deux simples mouvemens et contraires.

« Je respons que, par adventure, l’en pourroit dire que le mouvement de cest tantet de aer, ou cas dessus mis, en descendant est naturel siques à tant que cest aer soit en droit la région où est le lieu naturel de aer.

» Et après ce, cest aer descent encor en bas par violence pour ce que le feu, qui est plus légier, le foule et le met dessoubs soy, et ainsi ceste descendue est partie naturele et partie violence.

» Semblablement, le mouvement de cest aer en montant en l’eaue est naturel iusques à tant que il monte du centre de la terre iusques à la région de l’aer, là où est son lieu naturel.

  1. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre I, ch. IV ; ms. cit., fol. 5, col. d.