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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/412

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LA PLURALITÉ DES MONDES


IX
LA TACHE DE LA LUNE


Lorsque Plutarque soutint la pluralité des Mondes et, dans ce but, bouleversa toute la théorie du lieu naturel, ce fut dans un opuscule intitulé Περὶ τοῦ ἐμφαινομένου προσώπου τῷκύκλῳ τῆς Σελήνης, Sur le visage qui se voit dans le disque de la Lune. Ce n’était pas simple coïncidence. Si Galilée, montrant avec son télescope qu’il y a des taches dans le Soleil, devait un jour porter le dernier coup à la Physique céleste d’Aristote, cette Physique avait rencontré, dans la tache de la Lune, un démenti perpétuel. Il était impossible d’observer cette tache sans penser qu’elle décèle, dans la structure de la Lune, une certaine hétérogénéité, une certaine irrégularité qui semble incompatible avec la pureté toute géométrique de l’essence céleste définie par le Péripatétisme. Invinciblement, elle porte à regarder la Lune comme un corps comparable à notre terre.

Cette comparaison, Plutarque s’en est saisi et l’a développée jusqu’au bout ; mais bien d’autres, avant lui, en avaient eu la pensée. Déjà, si nous en croyons Stobée[1], « Héraclide et Ocellus faisaient de la Lune une terre entourée de nuages. » Aristote lui-même, qui mettait entre la substance céleste et les substances élémentaires une distinction si tranchée, paraît avoir éprouvé la tentation d’atténuer, pour la Lune, la netteté de cette opposition ; c’est du moins ce que semble indiquer ce passage du traité De la génération des animaux[2] : « Jamais, semble-t-il, le feu ne possède sa forme en propre ; toujours il la possède en quelqu’un des autres corps ; l’air, la fumée, la terre paraissent être ce qui contient le feu. Il faut aussi que ce même genre de substance [le feu] se rencontre dans la Lune, car celle-ci semble avoir quelque communauté avec la quatrième région », qui est le lieu du feu. « Ἀλλὰ τὸ μὲν πῦρ ἀεὶ φαίνεται τὴν μορφὴν οὐκ ἰδίαν ἔχον, ἀλλ’ ἐν ἑτέρῳ τῶν σωηάτων· ἣ γὰρ ἀὴρ ἣ καπνὸς ἣ γῆ γαίνεται τὸ πεπυρωηένον. Ἀλλὰ δεῖ τὸ τοιοῦτον γένος ζητεῖν ἐπὶ τῆς τετάρτης ἀποστάσεως..

  1. Joannis Stobæi Eclogæ plujstcæ, lib. I, cap. XXVI ; éd. Meineke, p. 151.
  2. Aristote, Περὶ ζῴων γενέσεως, lib. III, cap. XI (Aristotelis Opera, éd. Bekker, vol. I, p. 761, col. b).