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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/417

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

soit moult poliz si cum je vos ai dit, neporquant[1] il est en aucunes parties plains de roil[2] et de eschardeus[3], là ou il a plus amoncelé de la nature de l’aive et de la terre ; et por ce, a plus naturel obscureté, en cèle partie, et de umbre, jà soit-ce que la Lune soit un core tote pleine de lumière.

» Aristote disoit que li cors de la Lune estoit de nature de feu ; mès, ne porquant, il avoit moult de la nature de l’aive et de la terre. »

Notre auteur, fidèle à sa coutume, citait Aristote, mais ne l’avait jamais lu.

Quand les physiciens du xiiie siècle lurent Aristote et Averroès, ils éprouvèrent une grande perplexité touchant l’explication de la tache de la Lune ; la doctrine aristotélicienne relative à l’essence céleste ne leur paraissait pas aisée à concilier avec l’existence de cette tache ; en celle-ci, ils voyaient volontiers la marque d’une certaine parenté de la Lune avec les substances élémentaires.

Qu’Albert le Grand ait lu Averroès, on n’en doute point. L’influence du Commentateur transparaît assez, d’ailleurs, en ce que le futur Évêque de Ratisbonne dit de la lumière émise par les planètes[4] ; ce n’est, en effet, qu’une extension de ce qu’Aven Ezra et Averroès avaient dit de la lumière de la Lune.

Ni les étoiles errantes ni même, au gré d’Albert, inspiré par le Liber de elementis du pseudo-Aristote, les étoiles fixes n’ont de lumière propre ; pour toutes, le Soleil est la source première de la lumière qu’elles envoient. Mais si elles éclairent à l’aide de la lumière qu’elles ont reçue du Soleil, ce ne peut être par un simple effet de réflexion. Si une étoile réfléchissait la lumière du Soleil à la façon d’un miroir, elle la réfléchirait dans une seule direction et n’émettrait pas des rayons dans tout l’espace. « Sans aucun doute, donc, il faut accorder que cette réception de lumière ne se fait pas par réflexion ; bien plutôt, comme on l’a dit, la lumière se trouve incorporée aux étoiles… Celles-ci sont comme des réceptacles sphériques de lumière ; dès là qu’elles sont touchées par un rayon solaire, elles sont tout aussitôt remplies de lumière, et par tout leur corps, à la seule

  1. Neporquant = cependant.
  2. Roil = rouille.
  3. Eschardeus = écailleux, raboteux, rugueux.
  4. Alberti Magni Libri de Cælo et Mundo ; lib. Il ; tract. III : De natura et figura et motibus stellarura ; cap. VI : Et est digressio declarans qualiter stellæ omnes illuminantur a Sole.