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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/421

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Cette étrange hypothèse ne passa pas tout à fait inaperçue ; en 1310, Pierre d’Abano y fît allusion dans son Lucidator Astronomiæ ; cette allusion se rencontre au passage le plus indéchiffrable et le plus maculé de l’illisible manuscrit où le Lucidator nous est conservé[1]. « Ce n’est point dans la profondeur de la Lune, dit le médecin padouan, c’est plutôt à la surface que cette tache a la réputation d’exister, selon l’opinion la plus commune. »

Pierre d’Abano discute également l’opinion qui veut voir dans la tache de la Lune l’image réfléchie d’objets terrestres. Reproduisant presque mot pour mot une objection d’Albert le Grand, il dit que la Lune serait’alors éclairée « par une réflexion qui se ferait sur elle comme sur un miroir et non par imbibition de la lumière solaire dans la profondeur. »

Il est vrai qu’à cette théorie de la lumière lunaire, il prévoit une difficulté. « On la réfuterait peut-être, écrit-il, en observant que, dans une éclipse de Soleil, la Lune se montre complètement obscure, ce qui n’aurait pas lieu si elle pouvait recevoir la lumière dans sa profondeur et si elle retenait en elle quelque chose de cette lumière ; il semble donc qu’elle reçoive plutôt la lumière en raison de sa surface. »

En dépit de cette objection, l’opinion qui, vers 1310, semblait la plus propre à rendre compte de l’éclairement lunaire, c’est celle d’Averroès.

C’est la théorie d’Averroès que Gilles de Rome expose avec une extrême précision.

C’est du Soleil[2] que toutes les étoiles, comme la Lune tiennent leur lumière. « Le Soleil est donc la source de la lumière ; les orbes lumineux sont le milieu au travers duquel cette lumière parvient jusqu’aux étoiles et jusqu’à la Lune ; quant à la Lune et aux étoiles, ce sont des corps denses, nets et polis qui détournent vers les autres corps la lumière qu’ils ont reçue du Soleil. En effet, si les étoiles luisent, c’est en raison de leur densité, c’est parce qu’elles sont la partie la plus dense de leur orbe ; c’est par là qu’elles renvoient vers les autres objets la lumière qu’elles reçoivent du Soleil. Si donc en quelqu’une de ses parties, une étoile se trouvait être moins dense qu’ailleurs, en cette partie, elle ne brillerait pas ; c’est ce qu’on voit dans la tache de

  1. Petri Padubanensis Lucidator Astronomiæ. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. no 2.598, foi. 118, col. b.
  2. Ægidii Romani Opus hexaemeron, pars II, cap. X : Quod ex comparatione ipsius lucis ostenditur quod neque lux neque lumen neque splendor sunt forma substantialis corporis lucidi.