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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/58

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LA THÉORIE DES MARÉES

C’est, à n’en pas douter, la doctrine du Tractatus de fluxu et refluxu maris. Gilles, qui en a parlé trois fois, en la rendant, chaque fois, un peu plus précise et détaillée, va-t-il enfin se décider à l’adopter ? Non pas, car, pour la troisième fois, il fait allusion à la théorie astrologique. « Toutefois, dit-il, il ne faut pas mépriser ceux qui attribuent le flux et le reflux au mouvement des corps célestes. »

Le parti qu’il va prendre, c’est de faire appel, à la fois ; aux deux doctrines.

« Nous ne croyons pas, dit-il, qu’il soit possible, par une seule raison, de sauver le double flux et le double reflux ; les sens nous montrent, en effet, que, durant une seule circulation du ciel, il se produit un double mouvement de la mer ou, en d’autres termes, qu’elle flue deux fois et reflue deux fois. »

Pour Gilles, un de ces flux et un de ces reflux s’expliqueront par la théorie qu’a proposée le Tractatus de fluxu et refluxu maris ; pour rendre compte de l’autre flux et de l’autre reflux, il invoquera une hypothèse toute différente, et ce sera l’hypothèse d’Al Bitrogi.

Albert le Grand avait sévèrement et justement condamné cette hypothèse. Saint Thomas d’Aquin qui, partout ailleurs, attribue formellement la marée à l’action de la Lune, avait, dans ses Leçons sur les livres du Ciel et du Monde, fait une brève allusion à cette « circulation incomplète » de la mer[1]. C’est cette doctrine, réfutée et oubliée, que Gilles va reprendre.

« La sphère du feu tout entière, dit-il, suit le mouvement du ciel ; il en est de même de la sphère de l’air presque entière, exception faite de la partie qui se trouve enfermée entre des montagnes… Sur la Grande Mer, il n’y a pas de montagnes et la sphère de l’air accomplit en entier son circuit ; là donc, une partie de la sphère de l’eau reçoit l’impression céleste et suit le mouvement du ciel. Si donc la mer couvrait toute la surface de la terre et ne rencontrait aucun obstacle, il est sans doute qu’une partie de l’eau suivrait sans cesse le mouvement du ciel ; ce mouvement ne produirait ni élévation ni abaissement de l’eau. Mais le doute survient à cause de la résistance qu’oppose à ce mouvement la terre qui n’est pas entièrement couverte par l’eau ; par suite de cette résistance, les eaux doivent s’accumuler auprès de la côte vers laquelle tend ce mouvement circulaire de l’eau…

  1. S. Thomæ Aquinatis Expositio in libros Aristoptelis de Caelo et Mundo ; lib. I, lect. IV.