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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/92

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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

Un corps qui n’est pas mû de mouvement violent, en tendant ainsi vers sont repos naturel, tend vers son lieu propre ; c’est lorsqu’il réside en son lieu propre qu’il est conforme à la nature d’un corps de s’arrêter. « Τὰ κινούμενα μὴ βία, ἐν τοῖς οἰκείοις ἠρεμοῦντα τόποις. » « Il est raisonnable[1] que toute chose demeure en repos par nature dans son lieu propre. — Καὶ μένει δὴ φύσει πᾶν ἐν τῷ οἰκείῳ τόπῳ ἕκαστον οὐκ ἀλόγως. »

La terre ne peut donc demeurer naturellement en repos que si elle se trouve dans son lieu propre ; mais un lieu suppose un corps contenant ; le lieu d’un corps, au gré du Stagirite, c’est la partie, immédiatement contiguë à ce corps, du corps qui le contient. Dire simplement que le centre de la terre est au centre du Monde, ce n’est pas, à la terre, assigner un lieu ; ce n’est pas en définir le lieu propre ; cette définition ne peut être donnée qu’en désignant le corps qui enveloppe la terre, lorsqu’elle se trouve dans son lieu propre.

Ce corps, qui constitue le lieu propre de la terre, c’est l’eau. Lorsque les divers éléments sont en leurs lieux propres, la disposition de l’Univers est la suivante[2] : « La terre est dans l’eau, celle-ci dans l’air, l’air dans l’éther, l’éther dans le ciel ; quant au ciel, il n’est contenu dans rien d’autre. »

Pourquoi chaque corps est alors en son lieu naturel, le Stagirite nous en donne la raison. « Deux corps qui se suivent et qui sont appliqués l’un à l’autre sans violence sont de même lignée. ὁ γὰρ ἐφεξῆς καὶ ἁπτόμενον μὴ βίᾳ συγγενές. » Une partie d’eau sera donc en son lieu naturel quand elle se trouvera, de tous côtés, entourée par la masse de l’eau, qui est de même nature. De même, l’eau sera en son lieu propre si, de toutes parts, elle confine à l’air, car entre l’eau et l’air, il y a une relation analogue à celle qu’il y a entre une partie et le tout auquel elle appartient ; l’eau peut faire partie de l’air, car elle, est capable de se changer en air. « L’eau et l’air se comportent à l’égard l’un de l’autre comme la matière et la forme ; l’eau est la matière de l’air et l’air est comme la mise en acte de l’eau ; l’eau c’est de l’air en puissance, et, inversement, l’air, c’est de l’eau en puissance… C’est toujours de l’air[3], mais là il est en puissance, et ici, il est en acte ; l’eau se comporte donc à l’égard de l’air comme une partie à l’égard du tout. »

  1. Aristote Physique, livre IV, ch. IV [VII] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 290 ; éd. Bekker, vol. I, p. 212, col. a).
  2. Aristote, loc. cit.
  3. Au lieu : ἀής, le texte porte : ὕδως.