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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/129

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LA KABBALE


IV
LES RAPPORTS DES DEUX MONDES. LA THÉORIE DE L’AMOUR

À l’égard du monde inférieur, le monde supérieur ne se comporte pas seulement comme le cerveau à l’égard des membranes qui l’enveloppent, comme l’âme à l’égard du corps ; il se comporte encore comme le mâle à l’égard de la femelle. « Le Ciel, dit le Zohar[1], représente le principe mâle et la Terre le principe femelle.» Et nous ne saurions nous en étonner, car[2] « nous avons appris que tout ce que le Saint (béni soit-il !) a fait en haut et en bas est composé d’un principe mâle et d’un principe femelle. » Partout où deux êtres se succèdent, se superposent dans la hiérarchie des substances, le supérieur est l’époux et l’inférieur, l’épouse.

Partout, donc, nous rencontrons l’amour conjugal.

Nous le trouvons, d’abord, au sein de Dieu.

Toutes les théories de l’Être divin développées par les Kabbalistes nous ont montré, au sein de l’unité divine, deux faces, deux hypostases, deux personnes dont l’une était l’épouse de l’autre ; et de l’union du Roi avec la Matrone céleste, du Père avec la Mère naissait l’hypostase qui devait achever la Trinité.

L’amour conjugal, nous le retrouvons entre les deux mondes. « Le monde d’en haut[3], donne le baiser au monde d’en bas. » — « Les mondes supérieurs[4] éprouvent pour la région où vont les larmes des hommes un désir égal à celui qu’éprouve le mâle pour sa femelle. »

Nous voici donc amenés à nous poser cette question : Quel est, au sujet de l’amour, l’enseignement des Kabbalistes ?

Aristote, et les Néo-platoniciens arabes après lui, ne concevaient point l’amour désintéressé, l’amour du supérieur pour l’inférieur, l’amour du riche pour le pauvre. Seul, l’indigent, l’être qui est dans le besoin, aime et désire l’être qui lui peut fournir ce dont il est privé ; ainsi, au gré d’Aristote, la matière désire la forme, le laid désire le beau, la femelle désire le mâle. L’amour est un mouvement de sens unique : toujours il monte ; il ne descend jamais.

  1. Zohar, I, fol. 30a : t. I, p. 187.
  2. Zohar, II, fol. 144b ; t. IV, p. 58.
  3. Zohar, fol. 146b ; t. IV, p. 63.
  4. Zohar, fol. 165a ; t. IV, p. 110.