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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/174

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Les doctrines d’Avicébron ont exercé un puissant attrait sur plusieurs philosophes juifs.

L’auteur du Fons vitæ est cité à plusieurs reprises par le rabbin Joseph ben Zaddik[1], qui mourut en 1149. Il était grandement admiré[2] par Moïse ben Jacob ben Ezra de Grenade, qui florissait dans la première moitié du xiie siècle ; Moïse ben Ezra s’inspire souvent de lui dans son traité de philosophie intitulé Arougath habosem. Le célèbre Abraham ben Ezra[3] fait également, dans divers passages de ses commentaires sur la Bible, l’éloge d’Ibn Gabirol.

Il est vrai que la parenté des doctrines kabbalistiques avec les dogmes chrétiens scandalisait parfois les Juifs soucieux de la pureté de leur foi[4] ; à plus forte raison ceux-ci devaient-ils éprouver de vives inquiétudes lorsqu’ils reconnaissaient, dans la Source de vie, l’union de cette inspiration chrétienne avec des doctrines issues de cette philosophie hellénique, qu’exécrait de tout Juif orthodoxe.

Ce n’est pas, bien au contraire, la haine de la philosophie grecque qui, contre les enseignements du Fons vitæ, irrita le célèbre Abraham ben David ha-Lévi, martyrisé à Tolède en 1180. Abraham ben David « compose[5], en 1169, sous le titre de La foi sublime, un traité de Théologie où il cherche à mettre d’accord la Religion juive avec la Philosophie aristotélique. C’est en qualité de Péripatéticien et de théologien orthodoxe qu’il attaque avec beaucoup d’amertume l’auteur de la Source de vie

» Cette critique amère d’Abraham ben David contribua peut-être à discréditer de plus en plus parmi les Juifs la philosophie* d’Ibn Gabirol. »

Au xiiie siècle, un seul rabbin semble se soucier encore des doctrines d’Avicébron ; Schem-Tob ben Falaquéra a, comme nous l’avons vu, réstimé avec une grande fidélité la Source de vie ; de plus[6], dans le commentaire qu’il a composé sur le Guide des égarés de Maïmonide, et qui l’a intitulé Moré-ha-Moré (Le guide du Guide), il a fréquemment cité l’ouvrage dont il avait composé des extraits.

  1. Max Doctor, Die Philosophie der Josef (ibn) Zaddik, nach ihren Quellen, insbesondere nach ihren Beziehungen zu den lauteren Brüdern und zu Gabirol (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd. II, Heft II, Münster, 1895).
  2. S. Munk, Op. laud., pp. 262-266.
  3. S. Munk, Op. laud., p. 266.
  4. Ad. Franck, La Kabbale, 3e éd., pp. 256-257.
  5. S. Munk, Op. laud., pp. 268-274.
  6. S. Munk, Op. laud., p. 274.