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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/190

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME


D. L’intelligence de l’homme.


Toute cette théorie de l’épanchement trouve son application en ce qui est dit de l’action de l’intelligence active sur l’âme de l’homme.

En même temps que l’homme reçoit la vie, une âme naît en lui. Cette âme n’est rien encore qu’une chose en puissance, une disposition[1]. Cette disposition, qu’il est seul à recevoir, à l’exclusion de tous les autres animaux[2], « c’est la faculté rationnelle, je veux dire cette intelligence qui est l'intellect hylique » ; c’est donc le νοῦς ὑλικός d’Alexandre. Cette faculté n’est pas une substance séparée comme l’Intelligence active[3] ; elle réside dans un corps, de la même manière que les âmes des sphères célestes ont leur siège dans le corps de ces sphères.

Lorsque cette intelligence en puissance, cette intelligence hylique, se trouve en présence d’une chose intelligible en puissance[4], d’un morceau de bois, par exemple, l’intelligence en puissance et l’intelligible en puissance sont deux choses distinctes. « Mais tout ce qui est en puissance doit nécessairement avoir un substratum, » une matière ; aussi l’intelligible en puissance réside-t-il dans la matière du bois et l’intelligence en puissance dans le corps de l’homme.

Cette intelligence en puissance va passer à l’acte ; elle va opérer l’action de comprendre ; elle va, du morceau de bois, intelligible en puissance, abstraire la forme intelligible du bois, et la concevoir, c’est-à-dire s’identifier à elle. Il y aura donc là trois choses : l’intelligence en acte, l’opération intellectuelle, et la forme intelligible en acte ; mais, maintenant, ces trois choses n’en feront plus qu’une. « Il n’y a point là deux choses, savoir l’intellect et la forme pensée du bois ; car l’intellect en acte n’est pas autre chose que ce qui a été pensé. Et la chose par laquelle la forme du bois a été pensée et abstraite, à savoir l’opération intellectuelle[5], est elle-même indubitablement l’intellect passé à l’acte : en effet, l’essence de tout consiste en son action, et il ne

  1. Moïse Maïmonide, Op. laud., Première partie, chap. LXX : éd. cit., p. 328.
  2. Moïse Maïmonide, Op. laud., Première partie, chap. LXXII : éd. cit., t. I, p. 369.
  3. Moïse Maïmonide, loc. cit., éd. cit., pp. 373-374. p. 328.
  4. Moïse Maïmonide, Op. laud., Première partie, chap. LXVIII : éd. cit., t. I, pp. 304-310.
  5. Munk (éd. cit., t II, p. 308) a traduit : l’intelligent ; en cette théorie, en effet, les traducteurs latins entendent toujours par intelligent, l’opération intellectuelle, identifiée avec celui qui opère.