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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/201

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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

tandis qu’il construit un système de Métaphysique où l’éternité du Monde est provisoirement concédée, c’est au soufi Al Gazâli, destructeur des philosophes, qu’il demande les motifs de douter par lesquels il ébranle l’éternité du Monde, et les preuves par lesquelles il manifeste, dans les mouvements des cieux, les signes du libre choix de Dieu.

Ces deux attitudes, Al Gazâli les avait prises à deux époques différentes de sa vie, qu’une conversion séparait l’une de l’autre ; Maimonide les tient en même temps et dans le même livre ; cependant, il n y a, dans sa pensée, aucune inconséquence ; elle se développe suivant un plan tracé d’avance et où la Logique ne trouve rien à reprendre. Maïmonide, en effet, doué d’un sens critique très sûr et très aiguisé, a fort bien su reconnaître que certaines questions philosophiques, tel le problème de l’éternité du Monde, défient la puissance de démonstration départie à notre raison ; ces questions nous passent à ce point que les deux solutions contradictoires nous paraissent l’une et l’autre inconcevables ; tout au plus pouvons-nous peser les motifs de douter qu’émeut chacune d’elles et pencher vers celle qui offre le moins d’invraisemblance.

C’est par cette habileté à peser et examiner que le prudent Maïmonide se distingue des Arabes, particulièrement de son contemporain Averroès, aux doctrines arrêtées et fixées jusqu’en leurs moindres conséquences. Là est l’originalité du Rabbin, non dans ses théories mêmes qu’il tient tout entières d’Avicenne, d’Al Gazâli et d’Ibn Bâdja.


II
LE CONFLIT DU NÉO-PLATONISME ET DE LA THÉOLOGIE CHEZ LES JUIFS


La philosophie si prudente de Maïmonide allait cependant provoquer, au sein de la Synagogue, d’ardentes disputes.

C est en arabe que Moïse ben Maimoun avait écrit ses principaux ouvrages. Peu d’années après sa mort, dès les premières années du xiiie siècle, le Guide des égarés fut traduit en hébreu et commenté. L’auteur de la traduction et du commentaire était Samuel, fils de Jéhouda ben Tibbon, rabbin de Lunel ; c’était le chef de cette famille des Ibn Tibbon, souche de traducteurs et de savants qui ont illustré les communautés juives de Lunel, de Montpellier, d’Arles et de Marseille.