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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/258

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

pression d’une forme, acquérir la pluralité, est matière ou, tout au moins, principe matériel. — Quod formabile est in plura, materia est vel, ad minus, principium materiale. » Ainsi, entre plusieurs êtres de même genre, ce qu’il y a de commun, c’est la matière ; ce qu’il y a de différent, ce qui détermine la pluralité des espèces, c’est la forme. N’est-ce pas le postulat essentiel du Fons vitæ ? Or, qu’est-ce que tous les êtres ont en commun ? L’être. L’être est donc la matière commune de tous les êtres ou, en d’autres termes, « Dieu est la matière de toutes choses. »

Prendre des choses de même genre, faire abstraction des caractères par lesquelles elles diffèrent, obtenir ainsi ce qui est commun à toutes et, à ce fonds commun, donner le nom de substance ou de matière, c’est la méthode qu’Avicébron suit constamment ; c’est aussi celle que David de Dinant conduit jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes ; nous venons d’en analyser un exemple ; nous en allons trouver un second.

« Dieu, la Matière et l’Intelligence ou Esprit, dit notre philosophe, sont premiers chacun en son genre ; et, ajoute-t-il, en ceci qu’ils sont premiers, ils ne diffèrent pas, sans quoi, c’est en vertu du même principe qu’ils s’accorderaient entre eux et qu’ils différeraient l’un de l’autre, ce qui est absurde. Dieu, par exemple, diffère de la Matière en ce que Dieu est le premier agent et la Hyle le premier patient ; si donc nous faisons abstraction de ces différences, Dieu et la Matière seront la même chose. Partant, il y a une substance unique qui est, à la fois, Dieu, Hyle et Intelligence. »

À côté de ces arguments où l’on méconnaîtrait malaisément la très puissante influence du Fons vitæ, le Moniste de Dinant, subtil dialecticien, en déroulait d’autres. Saint Thomas d’Aquin nous fait connaître celui-ci[1] :

« David de Dinant a osé dire que Dieu est même chose que la Matière première, et voici pourquoi : Pour que la Matière et Dieu ne fussent pas même chose, il faudrait que quelque différence les distinguât l’un de l’autre ; mais alors, il ne seraient plus simples ; en celui des deux qui se distinguerait de l’autre par une certaine différence, cette différence produirait une composition. »

Albert reproduit encore ce raisonnement[2] : « L’Intelligence conçoit Dieu et la Hyle ou Matière, Or l’intelligence ne saurait rien concevoir sans s’assimiler à la chose qu’elle conçoit ; il faut

1. Albert le Grand, loc. cit.

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Summa contra Gentiles, lib. I, cap. XVII.
  2. Alberti Magni Summa theologica, loc. cit. ; Summa de creaturis, loc. cit.