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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/292

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

« En tout être au-dessous du premier Principe, ou peut distinguer ce qu’est cet être (quod est) et ce par quoi il est (quo est)… Et toute chose en laquelle on peut distinguer ce qu’elle est (quod est) et ce par quoi elle est (quo est) est une chose composée. »

Cet axiome : Omne quod est citra Primm est compositum ex quod est et quo est, revient souvent sous la plume d’Alexandre de Hales. Tantôt cet auteur paraît le regarder comme équivalent à celui-ci : Toute chose inférieure à Dieu est composée de matière et de forme. Mais, le plus souvent, il attribue aux deux propositions des sens différents.

Alexandre de Hales n’était pas seul, en son temps, à invoquer l’adage : Citra Primum quicquid est, est ex quod est et quo est. Le Franciscain Jean de la Rochelle, contemporain d’Alexandre, et dont la Somme théologique a été mise à contribution pour la composition de la Somme d’Alexandre, pose, lui aussi, ce principe, et voici comment il eu explique les termes[1] :

« L’essence dont est la créature (essentia est) ne se dit qu’à l’égard de ce qui est essentiel à la créature ; quod est, au contraire, regarde, à la fois, l’essentiel et l’accidentel ; on le voit pour l’ange ou pour l’âme ; on dit de cette âme qu’elle est (quod est) une âme, qu’elle est (quod est) raisonnable, ce qui lui est essentiel ; mais on dit aussi qu’elle est (quod est) juste, ce qui lui est accidentel. »

Le peu que nous venons de dire suffit déjà à justifier cette conclusion : Si les Scolastiques s’accordent en ce point que toute chose, après Dieu, est composée de quo est et de quod est, ils ne s’accordent plus du tout lorsqu’il s’agit de définir ce quo est et ce quod est.

Pour mettre un peu d’ordre dans la confusion que, déjà, nous pressentons, nous allons essayer de retracer l’histoire de ce principe : Citra Primam quicquid est, est ex quo est et quod est. Cette histoire sera fort instructive ; elle nous montrera, en effet, le conflit des tendances contradictoires que subissait la Scolastique et entre lesquelles elle balançait.

Albert le Grand, qui cite ce principe[2], l’attribue à Boëce. Il y

  1. Joannis de Rupella In librum Im de anima expositio, cap. XIII [Citation empruntée à : Doctoris Seraphici S. Bonaventuræ Opera omnia, tomus II, ad Claras Aquas (Quaracchi), 1885 ; p. 93, scholion, IV, 2]
  2. Alberti Magni De causis et processu universitalis lib. II, tract. II, cap. XVIII. Au lib. I, tract. I, cap. I du même écrit, Albert avait cité plus exactement les propos que tient Bocce « in libro De hebdomadibus, » livre qui est le même que le De Trinitate. En cet endroit, la formule : « In omni eo quod est citra Primum, aliud est esse et quod est, sive aliud est quo est et quod est » n’était pas donnée comme extraite textuellement de l’ouvrage de Boëce.