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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

la formule de Boëce, nous avons soupçonné plutôt que reconnu l’influence d’Avicenne et d’Al Gazâli : cette influence s’affirme clairement dans ce que Guillaume d’Auvergne dit du même axiome.

L’Évêque de Paris combat la théorie qui veut, à l’exemple d’Avicébron, mettre une matière même dans les créatures spirituelles ; contre cette théorie, il a voulu invoquer l’autorité du Philosophus Latinorum, c’est-à-dire de Boëce ; en réalité, grâce à Gilbert de la Porrée, c’est, nous l’avons dit[1], sur l’autorité d’Al Gazâli qu’il s’est appuyé. Il poursuit en ces termes[2] :

« Vous devez savoir que le dit Philosophe des Latins, discutant, dans un de ses Livres, de la simplicité et de l’unité du Créateur, dit[3] que le premier Principe est seulement ceci (hoc), tandis que toute autre chose est ceci et cela (hoc et hoc). Dans ces paroles, certains ont cru voir que tout être, hors le premier Principe, était composé, était deux choses ; et il leur a semblé que tout être, hors le premier Principe, était composé de matière et de forme. » C’est en effet le langage qu’au prochain article, nous lirons dans la Somme d’Alexandre de Hales.

À cet argument, Guillaume répond ; transcrivons sa réponse ; nous la commenterons ensuite.

« Si, comme ils l’entendent, toute chose est ceci et cela, il en résultera que toute matière est ceci et cela, que toute forme est ceci et cela ; tout serait ceci et cela, et l’on irait ainsi à l’infini ; toute chose serait infiniment multiple ; elle serait une infinité de fois ceci et cela ; rien ne serait plus intelligible, définissable ni dénommable ; ce Sage aurait erré d’intolérable façon si le sens de ses paroles était conforme à ce qu’en pensent ces gens-là.

» Pour moi, je dis que les propos tenus par ce Sage, avant et après les paroles en question, rendent évidente l’intention qu’il avait en prononçant ces paroles.

» Dans ce qui précède, en effet, il dit que toute Chose simple possède dans l’unité son esse et son id quod est (omne simplex esse suum et id quod est unum habet). C’est dire que dans la Chose vraiment simple dont il parle, le quid est n’est pas autre chose que le quod est ou esse. Une telle Chose simple est au dernier degré de simplicité, comme je vous l’ai montré dans la première

  1. Vide supra, p. 281.
  2. Guillermi Parisiensis Episcopi De Universo secunda pars principalis ; éd. 1516, pars I, cap. LIII, t. II, fol. CCXVIII, coll. a et b ; éd. 1674, pars II, cap. VII, p. 803, col. b.
  3. Anitii Severini Manlii Boethii De Trinitate lib. I (Boethi Opera, éd. Basileæ, MDLXX, p. 1122).