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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/310

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

l’inspiration d’Al Gazâli, il va prendre, dans l’interprétation du quo est et du quod est, le contrepied de ce qu’admettaient les disciples de Boëce et de Gilbert de la Porrée ; il entendra ces deux termes exactement comme Guillaume d’Auvergne l’avait fait.

Que la proposition : « Citra Primum quicquid est, est ex quo est et quod est » ne fût pas conforme au texte de Boëce, Saint Thomas d’Aquin est, à notre connaissance, le seul scolastique qui en ait fait la remarque. En un de ses Quolibets[1], il écrit : « L’ange est composé ex quo est et quod est, ou bien, selon le mot de Boëce, ex esse et quod est. » Ce propos, il le tient également dans la Somme théologique[2].

Que Saint Thomas connaisse très exactement le texte de Boëce, nous ne saurions nous en étonner ; dans ses opuscules, on trouve deux commentaires du traité écrit par le Philosophe italien ; l’un est intitulé : Expositio in librum Boetii de Hebdomadibus ; l’autre : Quæstiones super libum Boetii de Trinitate. Le premier, qui paraît être une œuvre de jeunesse de Thomas d’Aquin, nous doit seul retenir ici ; notre attention doit se porter spécialement sur le second chapitre, ou sont discutés les axiomes qui nous occupent.

La distinction entre l’esse et le id quod est. Thomas d’Aquin la considère, tout d’abord, comme une pure distinction logique ; « cette distinction, il ne la faut pas ici rapporter aux choses réelles (res) dont Boëce ne parle pas encore, mais aux concepts (rationes seu intentiones) ».

Cette distinction est alors celle de l’existence, considérée d’une manière abstraite, et de la chose qui existe, considérée d’une manière concrète. « Ce que nous entendons signifier lorsque nous disons : l’être (esse), est autre que ce que nous entendons signifier lorsque nous disons : la chose qui existe (id quod est) ; de même, le mot : courir, ne signifie pas ce que signifie cette expression : celui qui court. Courir et être ont une signification abstraite, comme blancheur ; ce qui existe, ce qui court désigne des choses concrètes, comme ce qui est blanc (curer et esse significantur in abstrait, situ et albedo ; sed quod est, id est ens, et currens significantur in concreto, velut et album . »

La chose qui existe (ens ou id quod est) participe de l’être (esse). Que faut-il entendre par là ? Thomas d’Aquin va le dire avec une parfaite clarté. »

La chose qui existe (ens site id quod est) participe à l’exi-

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Quodlibeta ; Quodli. IXm, art. VI.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Summa theologica, pars prima, quæst. L, art. II : Utrum angelus sit compositus ex materia et forma.