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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/319

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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

sujet de l’essence et de l’existence, la doctrine d’Avicenne et d’Al Gazfili ; de cet exposé, citons seulement le début :

« Tout ce qui vient après le premier Être possède une existence (esse) reçue en quelque chose par quoi cette existence se trouve concrétée (contrahitur) ; partant, au sein de tout être créé, autre est la nature (natura) de la chose, nature qui possède l’existence (esse) par participation, autre est cette existence reçue par participation. »

Fort de ces principes, le Doctor communis réfute en ces termes l’argument qu’il s’était opposé à lui-même :

« Être composé de quod est et de quo est, ce n’est pas la même chose qu’être composé de matière et de forme. En effet, bien qu’on puisse dire de la forme qu’elle est ce par quoi une chose existe (quo aliquid est), on ne peut cependant, avec propriété, appeler la matière : ce qui existe (quod est), car elle n’est qu’en puissance. Le quod est, c’est ce qui subsiste en existence (quod subsistit in esse)[1]. Cela, c’est, dans les substances corporelles, le composé de matière et de forme ; dans les substances incorporelles, c’est la forme simple elle-même. Quant au quo est, c’est l’existence (esse) reçue par participation ; cette existence se trouve en chaque chose en tant qu’elle participe de l’Existence en soi (ipso esse). C’est ainsi que Boëce use de ces termes au traité De hebdomadibus, lorsqu’il dit : En toutes choses après le premier Être, le quod est diffère de l’esse. — Unde et Boethius sic utitur istis verbis in libro De hebdomadibus, dicens quod in aliis præter Primum, non idem est quod est et esse. »

Or Boëce, considérant les choses composées de matière et de forme, avait dit : « Forma… quæ esse ipsum est et ex qua esse est. » Il fallait être bien oublieux de ce texte pour demander au Philosophe italien d’autoriser la doctrine d’Avicenne et d’Al Gazâli.

Le Docteur Angélique ne paraît aucunement inquiet de la déformation profonde qu’ont subie la parole et la pensée de Boëce. C’est avec une entière indifférence, semble-t-il, qu’il attribue au Philosophe Latin soit la formule[2] : « In omni quod est citra Primum, aliud est esse et quod est », soit la formule[3] : « Omnis substantia creata composita est ex eo quod est et esse », soit enfin la for-

  1. Dans son écrit sur le premier livre des Sentences (lib. I, dist. XXXIV, quæst. I, art. I) Saint Thomas d’Aquin nous avait avertis que les trois mots essentia, subsistentia, sabstantia étaient à peu près synonymes. Du reste la phrase qu’on va lire après celle-ci est la définition même, donnée au De ente et essentia, de ce que Thomas y nomme essentia ou quidditas.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Quodlibeta ; Quodlib. IIm, art. III.
  3. Sancti Thomæ Aquinatis Quodlibeta ; Quodlib. IIm, art. XX.