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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/361

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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

tuelle, tout comme le corps qu’il met en mouvement ; mais son action motrice est contingente (possibilis), et le mobile la reçoit d’une manière contingente ; le mouvement que le moteur donne au mobile est donc dans le temps. »

Aristote, dans sa Métaphysique, ne dit pas un seul mot de ces moteurs conjoints qui seraient les âmes des cieux ; il parle uniquement d’intelligences motrices, séparées de toute matière, qui sont des dieux ; c’est de ces intelligences qu’il égale le nombre à celui des orbes célestes. Le lecteur le moins attentif ne se peut méprendre à ce sujet ; Guillaume d Auvergne, en particulier ne s’y est pas mépris, et il a vivement combattu cette multiplicité des êtres aimés et désirés par les orbes célestes. Comment Robert de Lincoln a-t-il pu se tromper sur ce point ? S’il a méconnu si complètement la pensée du Philosophe, c’est, sans doute, qu’il désirait très vivement en chasser tout polythéisme et l’accorder avec la croyance en un Dieu unique.

Au xiiie siècle, les premiers lecteurs de la Métaphysique d’Aristote ont fort bien senti que la doctrine de ce livre était en formelle contradiction avec le monothéisme chrétien ; ils ont fort, bien vu que les multiples intelligences, moteurs immobiles des cieux, étaient autant de dieux. Aussi Guillaume d’Auvergne n’avait-il pas hésité à combattre de front cette théorie ; aussi, en dépit de ses connaissances astronomiques qui l’attachaient au système de Ptolémée, Albert le Grand marquait-il quelque penchant pour l’astronomie d’Al Bitrogi qui se contentait, du moins à son avis, d’un moteur unique. Robert Grosse-Teste a mieux aimé modifier la doctrine d’Aristote, afin d’y réduire à l’unité la multitude des intelligences séparées ; le seul moteur immobile qu’il conserve, c’est Dieu.

On comprend, dès lors, que, dans son Traité des intelligences[1], l’Évêque de Lincoln parle des anges et des âmes unies à des corps, mais que des intelligences séparées affectées au mouvement des orbes célestes, il ne fasse nulle mention.


G. — La matière spirituelle.


En énonçant cette proposition : Dieu est la forme première et unique de toutes choses, Grosse-Teste a paru se faire l’écho d’une thèse d’Avicébron. Partageait-il, au sujet de la composition des

  1. Ruberti Linconiensis Tractatus de intelligentiis ; éd. 1514, fol. 6. col. d, et fol. 7, coll, a, b, c, d ; éd. Baur, pp. 112-119.