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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/373

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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

quoi, tout en affirmant que les Intelligences sont exemptes de toute matière, il déclare qu’en elles, l’acte se mêle de puissance. Aristote et Avicenne se fussent mis d’accord pour le taxer d’absurdité. D’autres, et de plus illustres que lui, donneront dans la même inconséquence.

Le Liber de Intelligentiis formule maintenant les propositions que voici[1] :

« Aucun moteur, si ce n’est Dieu, ne meut par sa seule volonté. » Lorsqu’une Intelligence meut un corps, la substance de cette Intelligence s’introduit dans le corps d’une certaine façon.

» Le pouvoir de l’intelligence est limité, car nul être créé ne possède un pouvoir infini. »

Ces propositions donnent lieu aux réflexions suivantes :

« On montre ici la différence qui existe entre une Intelligence et Dieu au sujet de l’action motrice et du pouvoir à l’aide duquel cette action s’exerce.

» La différence, c’est que Dieu meut par sa seule volonté et L’intelligence non. L’action de Dieu, en effet, c’est sa volonté… ; au contraire, le vouloir d’une Intelligence n’est pas même chose que son action ; elle agit, en effet, par une volonté qui n’est pas pleinement action, car les Intelligences ne possèdent pas seulement de l’acte, mais aussi de la puissance ; elles sont composées de puissance et d’acte… La volonté n’est donc pas, en elle, un moteur qui se suffise à lui-même, en sorte qu’elles ne meuvent point par leur seul vouloir.

» De là résulte ce qu’énonce la seconde proposition : Lorsqu’une Intelligence meut un corps, la substance de cette Intelligence s’introduit dans ce corps d’une certaine façon. En effet, le pouvoir ou vertu de cette Intelligence n’est pas infini ; partant, il s’affaiblit lorsqu’il s’exerce loin de la substance de cette Intelligence, tandis que par l’union avec elle, il prend plus de force. Lors donc qu’une telle Intelligence meut un corps, il faut que soit présente à ce corps la substance en laquelle la puissance motrice est enracinée. afin que cette substance, dont la volonté[2] n’est pas suffisante par elle-même, infuse le mouvement dans le mobile. Voilà pourquoi une Intelligence qui serait en Espagne ne pourrait mouvoir nu corps en France ; il faut que sa situation la conjoigne au corps au moment où sa vertu communique à ce corps un mouvement local.

  1. C. Baeumker, Op, laud., pp. 57-59.
  2. Au lieu de : voluntas, le texte porte : Virtus.