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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/379

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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

de M. Bäumker, elle nous paraît imposer cette conclusion : Le Liber de Intelligentiis n’est pas de Witelo.

De qui donc est-il ? Avouons sans ambages que nous non savons rien.

Cette ignorance est regrettable, car le Liber de Intelligentiis paraît avoir joui, au xiiie siècle, d’une certaine vogue.

Dans une de ses discussions quolibétiques, Saint Thomas d’Aquin examine[1] si le Ciel empyrée exerce ici-bas quelque influence. En faveur de la réponse affirmative, qu’il tient pour vraie, il prévoit cette raison :

« On dit, dans le Livre des Intelligences, que tout être qui influe sur d’autres êtres est lumière ou possède la lumière ; on ajoute, dans le commentaire de cette proposition, que toute influence a lieu par la vertu de la lumière ; or, parmi tous les corps, le Ciel empyrée est celui qui possède le plus de lumière ; il a donc, sur les autres corps, la plus grande influence. »

Cette raison suggère au Doctor communis la réflexion que voici :

« Nous accordons la conclusion, bien que le Livre des Intelligences ne fasse pas autorité (quamvis Liber de Intelligentiis non sit alicujus autctoritatis) bien qu’il ne soit pas vrai, non plus que toute influence se produise en raison de la lumière ; à moins qu’on ne veuille, par métaphore, prendre le mot lumière pour désigner toute sorte d’acte ; car tout agent agit parce qu’il est un être en acte ; ou bien encore cela peut être vrai dans le domaine des seules substances corporelles, domaine dans lequel le mot lumière est pris au sens propre ; la lumière corporelle, en effet, est la forme du premier agent, qui est le ciel, et c’est en vertu du ciel qu’agissent tous les corps inférieurs. »

Saint Thomas d’Aquin rejette donc la thèse excessive du Liber de Intelligentiis, pour s’en tenir à une doctrine semblable de tout point à celle que nous avons entendue de la bouche de Witelo.

Ce recours au Liber de Inlelligentiis nous montre que, sans être tenu pour une autorité, ce traité était fort connu au temps où Saint Thomas disputait ; qu’il fût déjà quelque peu ancien, cela paraît bien probable ; nous sommes tentés, par là, d’en mettre la rédaction vers le milieu du xiiie siècle ou même un peu avant.

La nature des thèses qui s’y trouvent soutenues nous invite, elle aussi, à recevoir cette opinion, Aristote n’est point inconnu de l’au-

  1. Quodlibetales quæstiones Sancti Thomæ, Quodlibetum VI, art. XIX — Cf. Maurice De Wulf, Histoire de la Philosophie médiévale, 4e éd., 1912, p. 417. et p. 482, en note.