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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/390

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Mais cette forme, qui sert de terme à la première opposition, est, en même temps, la première puissance active de la matière ; par là, elle est le fondement de la seconde opposition. Quelle est la forme qui va servir de terme à celle-ci ?

La forme du genre généralissime, de la substance universelle, se subdivise en forme de l’incorporel et forme du corporel. La forme que nous cherchons, celle qui survient à la matière aussitôt après la forme première, dirons-nous que c’est la forme corporelle ou la forme incorporelle !

« Mais ces deux formes, le corporel et l’incorporel, sont contemporaines (coæquævæ) ; aucune de ces deux formes ne prime l’autre ; si l’on dit que la seconde opposition a, pour terme, une de ces deux formes, par la même raison, elle aura l’autre ; il faut donc qu’elle les ait toutes deux pour termes ou qu’elle ne se termine ni à l’une ni à l’autre…

» Solution : Je dis que la forme qui répond à la puissance active de la matière nue est autre que la forme du genre généralissime… D’une manière, on peut dire : C’est l’incorporel. D’une autre manière, c’est l’incorporel et le corporel…

» Direz-vous que cette puissance [active] répond à une seule de ces deux formes, savoir à l’incorporel, à cause de sa noblesse, et que cette opposition [entre la puissance active et l’incorporel] prime l’autre opposition, [celle qui existe entre la puissance active et le corporel] ? Mais primer peut s’entendre de deux manières. Il peut signifier que l’un des deux termes est subordonné à l’autre (sub et supra) ; de cette façon-là, l’incorporel ne prime pas le corporel… Une de ces deux formes ne prime pas l’autre en ce sens qu’elle se trouverait avant elle dans la ligne des catégories ; car il faudrait alors ou bien que toutes choses fussent corporelles, ou bien que toutes choses fussent incorporelles. Ce n’est pas ainsi qu’il y a primauté de l’une sur l’autre ; il y a seulement primauté de nature, en ce sens que l’incorporel participe à l’existence d’une manière meilleure et plus noble que le corporel. »

Plus tard, nous verrons Bacon se complaire à figurer les subdivisions dichotomiques que la doctrine d’Avicébron établit entre les matières, entre les formes, entre les substances ; chaque dichotomie séparera deux branches qui, dans la ligne des catégories, occuperont le même rang, mais dont l’une sera de plus noble nature que l’autre. Dès le début de son enseignement, il nous est donné de reconnaître le puissant attrait que ce genre de considérations exerçait sur sa raison.