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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/392

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

réprouve au premier livre, ce sont ceux qui admettent les formes latentes de cette sorte. »

Avant qu’une forme ne soit engendrée dans la matière et n’y acquière une existence actuelle et complète, Bacon veut que la matière recèle une sorte de germe de cette forme, une forme encore imparfaite et incomplète qui, par l’intervention de l’agent extérieur, deviendra la forme parfaite et complète. L’existence, au sein de la matière, de cette forme incomplète et latente est ce qu’il entend désigner lorsqu’il dit : Avant la génération, la forme existe en puissance dans la matière. Combien, en donnant un tel sens à cette proposition, il s’éloigne de la pensée d’Aristote, il n’est guère besoin de le remarquer.

Bacon expose sa doctrine d’une manière plus détaillée dans la seconde série de ses questions sur la Métaphysique d’Aristote.

La génération d’une forme dans la matière ne saurait se contenter d’un agent extérieur ; il y faut un agent intérieur[1], un principe interne de mouvement.

Cet agent, « c’est quelque chose d’incomplet qui réside à l’intérieur de la matière et qui en est, peut-être, la puissance active ; cet agent, il est nécessaire d’en admettre l’existence…

» Cette puissance n’est pas seulement agent interne ; c’est elle, en outre, qui, ensuite, devient forme. Si elle était seulement agent, on pourrait, peut-être, prétendre qu’il est inutile de l’admettre : mais c’est cela qui devient la forme (sed illud fit forma). Sans cela, donc, aucune chose ne pourrait être engendrée ; pour toute génération, ce principe est exigé, qui est, en même temps, agent et forme (et ideo semper exigitur illud quod idem est agens et forma) ; sans ce principe, il ne se fait pas de génération. »

Cette puissance active, qui est, à la fois, forme incomplète et agent interne, Bacon l’oppose à la puissance purement réceptive.

« Il y a, dit-il[2], deux sortes de puissances.

» Il y a la puissance réceptive qui est une disposition de la matière ; ce n’est pas une nature active : elle est l’opposé d’une telle nature.

» Il y a, d’autre part, la puissance de la forme ; c’est une forme incomplète ; parce qu’elle est incomplète, on l’appelle puissance matérielle ; mais en vertu de son caractère formel, et parce qu’elle devient forme complète, on l’appelle puissance active. »

La comparaison des pensées qui ont été exposées dans cet article

  1. Ms. cit., fol. 101, col. a.
  2. Ms. cit., loc. cit.