Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
LES QUESTIONS DE BACON

bien déterminée (signata) ; et tout ce qui est ensuite surajouté à cette partie bien déterminée, qu’il s’agisse d’une forme substantielle ou d’une forme accidentelle, suit la nature et la condition de cette partie déterminée. » Par cette désignation et détermination d’une partie de la matière, forme substantielle et accidents se trouvent déterminés. C’est bien la théorie péripatéticienne de l’individuation.

C’est encore cette théorie péripatéticienne qui dicte la réponse à la dernière question[1] :

« À moins de supposer la matière, nous ne pouvons avoir d’individuation. C’est ce que dit Aristote : « Dans les êtres séparés de la matière, il n’y a pas individuation numérique, mais seulement individuation spécifique » Point donc d’individuation sans matière…, car toute particularisation et désignation est faite par la nature de la matière. »

Bacon s’est montré fidèle péripatéticien dans la discussion de cette question : Qu’est-ce que le principe d’individuation ? Mais il ne suit pas longtemps Aristote. Un véritable disciple du Philosophe, en effet, ne manquerait pas d’appliquer aux Intelligences la proposition qui vient d’être établie ; Bacon s’en garde bien ; comme exemples d’êtres séparés de toute matière, il se contente de citer la Cause première et les idées platoniciennes ; en effet, il n’oublie pas l’enseignement d’Avicébron ; hors la Cause première, il n’admet aucune substance qui soit forme pure ; en toute Intelligence, il place une matière : « Parmi les créatures, dit-il, il est impossible d’admettre des substances qui soient des formes pures et véritables ; toujours et exclusivement, une forme est créée dans une matière. »

Dès là que toute Intelligence créée, que toute âme a une matière, notre maître ès arts pouvait mettre dans la matière le principe de l’individuation, sans être exposé à fondre dans une Intelligence unique toutes les âmes séparées de leur corps.


VI
LE MONDE EST-IL ÉTERNEL ?

L’Aristotélisme affirme et prétend démontrer que le Monde n’a pas eu de commencement ; le Christianisme enseigne que

  1. Ms. cit., fol. 102, col. d.