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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/430

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

désir de n’être que le fidèle rapporteur des doctrines d’autrui :

« Nous expliquons ici l’intention des Péripatéticiens[1] ; nous ne disons rien de nous-même ; nous nous contentons d’interpréter du mieux que nous pouvons ce qu’ils ont voulu dire. » — « Avant que nous parlions des Intelligences[2], il faut savoir qu’en ce que nous allons dire, nous n’apporterons rien de nouveau ; nous présenterons simplement les raisonnements des Péripatéticiens.

De tous les passages où Albert affirme son intention d’exposer fidèlement, et sans rien ajouter qui lui soit propre, les doctrines des Peripatéticiens, le plus caractéristique, assurément, est celui qui termine le traité Des animaux :

« Voici la fin du livre Des animaux ; avec lui s’achève toute notre œuvre de science naturelle. Dans cette œuvre, j’ai pris pour règle de conduite d’exposer du mieux que je pouvais ce qu’ont dit les Péripatéticiens ; aussi personne, en cette œuvre, ne peut-il deviner ce que je pense moi-même en Philosophie naturelle (nec aliquis in eo posset reprehendere quid ego sentiam in Philosophia naturali). Quiconque en douterait n’aqu’à comparer ce qui est dit dans nos livres à ce qu’ont dit les Péripatéticiens ; alors, quand j’affirme que je nai fait qu’interpréter et exposer leur science, il pourra en tomber d’accord avec moi ou me reprendre ; mais s’il me veut reprendre sans avoir lu ni compris, il sera bien établi que ses reproches viennent de la haine ou de l’ignorance ; des remontrances de telles gens, je ne me soucie guère. »

Albert se vante donc d’avoir exposé la philosophie des Péripatéticiens avec tant de fidélité (on est tenté de dire : avec tant de servilité) qu’il soit impossible même de soupçonner ses opinions personnelles. Mais qui sont ces Péripatéticiens auxquels il se contente de faire écho ?

Le mot : Peripatetici éveille, en l’esprit d’Albert, une idée aussi large, nous pourrions dire : aussi vague, que l’idée conçue par Guillaume d’Auvergne lorsqu’il disait : Aristoteles et ejus sequaces, par Alexandre de Hales lorsqu’il écrivait : Philosophi.

Les Péripatéticiens, ce sont, après Aristote, une foule de philosophes grecs, Alexandre d’Aphrodisias, Thémistius, Porphyre. C’est Denys qui est placé, auprès de Théophraste, parmi les meilleurs philosophes grecs[3]. Ce sont les philosophes arabes, Al Fârâbi, Avicenne « et ejus imitator Algazel, » le Chrétien Costa ben Luca, Ibn Bâdja qu’Albert nomme Avempache, Ibn Tofaïl, qu’il appelle

  1. Alberti Magni Liber de causis, lib. II, tract. I, cap. II.
  2. Alberti Magni Op. laud., lib. II, tract. II, cap. I.
  3. Alberti Magni De intellectu et intelligibili, lib. I, tract. I, cap. IV.