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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/45

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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

propositions du rabbin de Malaga ; mais ces différences paraissent distinguer les formes sous lesquelles ces propositions sont présentées bien plutôt qu’elles n’en atteignent le fond. Des doctrines métaphysiques d’Aristote, le Chrétien n’a perçu qu’un reflet, indirect, extrêmement pâle et affaibli ; aussi sa pensée s’éclaire-t-elle de préférence des lumières du Platonisme. Le Juif, au contraire, a reçu dans toute leur splendeur les rayons du Péripatétisme ; ils ont teint de leurs couleurs la surface des idées qu’il conçoit ; mais ils n’en ont pas pénétré l’intimité. Ainsi, l’identité essentielle des deux philosophies se dissimule sous des nuances différentes ; mais ce sont nuances d’emprunt.

Selon Jean Scot, toutes les substances de la création dérivent d’une première Substance créée universelle qu’il nomme, en général, Essence universelle ; dans sa terminologie mal assurée, en effet, les deux mots essence et substance sont souvent pris l’un pour l’autre ; quelle différence il établit parfois entre eux, nous le verrons plus loin. Comment donc conçoit-il cette Substance universelle ?

Il est trois choses[1] qu’on ne peut séparer, qui sont intimement et indissolublement liées entre elles, qui sont essentiellement trois choses différentes en une seule chose ; elles se nomment en grec οὐσία, δύναμις. Ces trois termes, la Scolastique les traduira plus tard par les mots substantia, potentia, actus ; Scot les traduit par essentia, virtus ou potestas et operatio.

Or « cette trinité essentielle que composent l’essentia, la virtus et l’operatio, elle existe, inaltérable et incorruptible, en toutes choses et, particulièrement, au sein des natures raisonnables et intellectuelles… Cette trinité qui subsiste en toutes choses ne peut y être ni augmentée ni diminuée.

» Toute trinité subséquente doit être considérée comme un effet de la trinité précédente…

» L’Essentia qui a été créée une et universelle en toutes choses, qui est commune à toutes choses, ne peut être regardée comme particulière à aucune chose, car (die appartient à tout ce qui participe d’elle ; c’est de cette Essentia universalis qu’émane, pour chacune des choses qui y participent, une substantia propria qui n’est la substance d’aucune autre chose, qui l’est de celle-là seulement dont elle est la substance.

» En cette substance-ci, existe une possibilitas propria ; elle ne

  1. Joannis Scoti Erigenæ De divisionæ naturæ Liber primus, cap. 62 (Patrologia latina. Accurante Migne, t. CXXII, coll. 505-507).