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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/460

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Scolastique latine, bon nombre de maîtres s’y étaient rangés ; Alexandre de Hales, Maître Roger Bacon l’avaient ouvertement adopté ; au temps même d’Albert, beaucoup de Frères Prêcheurs l’avait embrassé :

« Avicenne, lisons-nons au De anima[1], dit que l’âme a un principe d’individuation particulier, bien que nous n’en connaissions ni le nom ni la nature ; mais comme tout principe d’individuation est matière, il faut alors que ce principe d’individuation soit une matière incorporelle qui existe en l’âme ; c’est ce qu’admettent la plupart de nos compagnons »

Albert ne trouve pas qu’une telle opinion soit appuyée d’arguments philosophiques assez forts pour entraîner son adhésion : « Nous ne voulons pas, dit-il, contredire sur ce point à nos compagnons ; toutefois, nous regarderons comme probable l’opinion que nous avons exposée plus haut ; celle-là, en effet, peut être prouvée par les propriétés de l’âme ; celle-ci, au contraire, n’est aucunement prouvée ; c’est, plutôt, une fiction de la raison. »

Cette fiction, il en parle en termes plus sévères au De unitate intellectus contra Averroem[2], C’est elle qui empêche ceux qui ne sont pas philosophes de rien entendre aux discussions touchant l’unité de l’Intelligence. « Presque toute la troupe de ceux qui parlent de l’âme s’empresse d’en parler selon l’imagination que ces gens s’en sont faite ; ils imaginent, en effet, que l’âme est une subtance composée, semblable à une chose qui serait, en elle-même, composée de matière et de forme… Mais jamais les philosophes n’ont parlé de l’âme en ces termes. »

Il y a plus ; soutenir cette opinion d’Avicébron, c’est faire le jeu des Averroïstes ; il leur est facile de la réfuter, et cette réfutation devient un argument en faveur de leur doctrine ; Albert la met au nombre des raisons qu’ils peuvent invoquer : « Leur seizième raison, dit-il[3], consiste en la destruction de la réponse qu’on leur peut faire et que beaucoup leur donnent.

» Ces derniers disent, en effet, que l’intelligence de l’un diffère numériquement de l’intelligence de l’autre non pas par une matière dont elle serait tirée, mais par la matière en laquelle elle existe. Ils prétendent, en effet, que l’intelligence est composée à l’aide d’une matière ; cette matière est simplement déterminée par une forme subtanlielle, qui est la première forme qui soit ; cette forme, c’est l’intellectualité ; quant à cette matière, elle n’a aucune des

  1. Alberti magni De anima, lib. III, tract. III, cap. XIV.
  2. Alberti magni De unitate intellectus contra Averroem, cap. III.
  3. Alberti magni De unitate intellectus contra Averroem, cap. IV, 16a via.