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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/476

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

mais surtout, certaines pensées formulées au De ente et essentia rappellent, d’une manière frappante, certaines autres pensées émises par Albert en étudiant le Livre des causes.

Des enseignements donnés par Thomas en son opuscule Sur l’essence et l’existence, il nous sera permis, parfois, de rapprocher ceux que nous trouvons en certaines questions de l’Écrit sur les livres des Sentences ; ces questions, en effet, sont, elles aussi, une œuvre de jeunesse de Thomas d’Aquin ; elles sont contemporaines ou à peu près du De ente et essentia : peut-être même lui sont-elles antérieures ; elles furent composées, sans doute, aussitôt que Thomas, pourvu du grade de bachelier en Théologie, put donner des leçons sur cette science ; elles doivent donc être datées de 1253 ou de 1254[1].

« Que faut-il entendre par essence et par existence ? Sous quelle forme l’essence et l’existence se trouvent-elles au sein des diverses choses ? » Telle est la question par laquelle s’ouvre ce petit traité De ente et essentia qu’on a nommé le Discours de la méthode de Saint Thomas d’Aquin.

Cette question nous place, du premier coup, en face d’un problème que, depuis la création du Péripatétisme, toutes les philosophies avaient tenté de résoudre, et à la solution duquel chacune d’elles avait fait concourir ses principes les plus essentiels ; au début même de son œuvre, donc, Thomas d’Aquin se met à un carrefour d’où sa vue embrasse toutes les voies que les Métaphysiques diverses proposent à son choix. Dès ce moment, aussi, nous verrons se marquer le caractère propre de son esprit : aucune des voies déjà tracées ne le satisfera pleinement ; il s’efforcera d’en frayer une nouvelle ; mais il ne tentera pas, pour cela, de marcher dans une direction inexplorée à partir de principes auparavant insoupçonnés ; tout son souci sera de raccorder les uns aux autres les divers tronçons de route ouverts par ses prédécesseurs, et d’emprunter successivement à chacun d’eux une partie du chemin qui le doit enfin, pense-t-il, conduire à la vérité.

Dieu est simple ; en tout être autre que Dieu, il y a dualité ; voilà une affirmation que toutes les Métaphysiques péripatéticiennes et néo-platoniciennes s’accordent à formuler ; le désaccord éclate entre elles lorsqu’il s’agit de dire avec précision en quoi consiste la dualité de toute substance, hormis Dieu.

Pour Aristote, toute substance soumise à la génération et à la mort est capable à la fois d’une existence en acte et d’une exis-

  1. Quétif et Échard, Scriptores Ordinis Prœdicatorum, t. I, p. 287.