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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/493

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SAINT THOMAS D’AQUIN

animal. Dès lors, nous disons que l’animalité est essentielle à l’homme.

Au contraire, au concept d’homme, comparons le concept d’existence ou le concept de blancheur. « Lorsque vous concevez ce que c’est qu’un homme, il ne vous est pas nécessaire de concevoir qu’il existe ni qu’il est blanc ; tandis que vous ne pourrez pas le concevoir sans concevoir qu’il est un animal. » Voilà pourquoi nous disons que l’existence, que la blancheur sont des concepts (intentionnes) accidentels à l’homme.

Moïse Maïmonide accepte, lui aussi, l’enseignement d’Ibn Sinâ ; mais tandis qu’Al Gazâli avait ramené cet enseignement à n’être qu’une proposition de pure Logique, Maïmonide le formule en des termes qui en font une thèse de Métaphysique. « On sait, dit-il[1], que l’existence est un accident survenu à ce qui existe ; c’est pourquoi elle est quelque chose d’accessoire survenu à la quiddité de ce qui existe. C’est une chose évidente et nécessaire dans tout ce dont l’existence a une cause ; car son existence est une chose ajoutée à sa quiddité. Mais quant à ce dont 1’existence n’a pas de cause, et c’est Dieu seul, le Très-Haut, (car c’est là ce que l’on veut dire en disant que Dieu est d’une existence nécessaire), son existence est sa véritable essence ; son essence est son existence, et elle n’est point une essence à laquelle il est arrivé d’exister, de sorte que son existence y soit quelque chose d’accessoire ; car il est toujours d’une existence nécessaire, et son existence n’est pas quelque chose de nouveau en lui ni un accident qui lui soit survenu…

» Ce qu’il faut savoir également, c’est que l’unité et la multiplicité sont des accidents survenus à ce qui existe… »

Cette doctrine d’Avicenne, que Maïmonide avait embrassée avec conviction, déplaisait fort à Ibn Rochd. « Avicenne, disait-il[2], a gravement péché en ceci : Il a jugé que l’existence et l’unité étaient des dispositions ajoutées à l’essence de la chose ; il est extraordinaire que cet homme-là ait pu commettre une telle erreur ; mais il a écouté les Motécallemin de notre religion et il a fait un mélange de leurs discours et de sa propre Théologie… Nous, au contraire, nous disons que l’existence et l’unité signifient l’essence même, mais de manières différentes ; elles ne signifient pas des dispositions diverses ajoutées à l’essence… C’est pourquoi nous disons que la substance d’une chose quelconque est l’existence de cette chose ;

  1. Moïse ben Maimoun dit Maïmonide, Le Guide des Égarés, Première Partie, C. LVII. Trad. S. Munk, t. I, pp. 230-233.
  2. Aristotelis Stagiritæ Metaphysicœ libri XII cum Averroïs Cordubensis Commentariis ; lib. IV, cap. II, comm. 3.