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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/502

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

La matière et la forme sont des subdivisions de la substance matérielle, la puissance et l’acte des subdivisions de l’être en général (ens commune). Aussi, tout ce qui dépend de la simple puissance et de l’acte simple appartient en commun aux substances matérielles et aux substances crées immatérielles ; ainsi en est-il de recevoir et être reçu, d’être perfectionné et de perfectionner. Au contraire, ce qui appartient en propre à la matière et à la forme en tant que telles, la génération et la corruption par exemple, c’est particulier aux substances matérielles et cela ne convient aucunement aux substances créées immatérielles. »

Tout le Péripatétisme s’insurgerait contre une telle doctrine ; pour cette Philosophie, tout ce qui est en puissance de recevoir une certaine perfection, un certain achèvement est matière à l’égard de cette perfection ; pour cette matière, l’achèvement qui en est l’acte est une forme. S’il existe des Intelligences dépouillées de la matière, des substances qui sont formes simples, c’est qu’en elles, il n’y a nulle puissance, c’est qu’elles sont acte pur. Dès là que Thomas d’Aquin regarde les Intelligences créées comme mêlées de puissance et d’acte, le Péripatétisme exigerait de lui qu’il les composât de matière et de forme ; Saint Bonaventure saura le lui dire.

Pourquoi donc, en dépit des enseignements d’Aristote, Thomas d’Aquin se refusera-t-il à cette conclusion ? Pourquoi niera-t-il que l’essence soit une matière dont l’existence est la forme, tout en continuant à affirmer que l’essence est en puissance de l’existence et que l’existence est l’acte de l’essence ? C’est que la puissance dont l’essence est affectée, c’est une puissance qu’Aristote ignorait et qu’il eût refusé de concevoir ; cette puissance, c’est la puissance d’exister, c’est le possible esse que le Néo-platonisme arabe avait admis en dépit des leçons du Péripatétisme. En aucune circonstance, plus nettement qu’en celle-ci, nous ne verrons Thomas d’Aquin rompre avec la tradition d’Aristote pour suivre la tradition d’Avicenne,

Que le rapport de l’existence à l’essence soit un rapport d’acte à puissance, le Doctor communis, nous l’avons dit, l’a constamment admis. Il le déclarait déjà au De ente et essentia. Nous venons de lui entendre professer dans la Somme contre les Gentils. Nombreux sont, dans ses autres écrits, les textes où se reconnaît le même enseignement.

Tel est, par exemple, le suivant[1] : « Toute chose autre que

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Quodlib. IIm, art. XX : Utrum anima sit composita ex materia et forma.