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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/527

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SAINT THOMAS D’AQUIN

natas in materia ponere et præcedentes omnem formam substantialem est impossibile nisi intellectu tantum, sicut ponunt mathematici. » Pourquoi n’en serait-il pas de même post exitum formæ substantialis ?

Cette solution du mystère qui a si fort embarrassé ses contemporains, Saint Thomas d’Aquin la suggère ici plutôt qu’il ne la formule. Dans ses autres écrits, nous le trouvons encore plus prudent et réservé. Ainsi en est-il en son écrit : Sur l’unité de l’intellect contre Averroès.

« On objectera peut-être, écrit-il en cet opuscule[1], que si la multiplicité des âmes suit celle des corps, il en résulte que les âmes ne peuvent demeurer multiples lorsque les corps sont détruits. Ce que nous avons dit fournit la solution de cette objection. Il est dit, en effet, au quatrième livre de la Métaphysique, que toute chose est être de la même manière qu’elle est une. De même donc que l’âme qui a son existence dans le corps en tant qu’elle est forme du corps, et qui n’existe pas avant le corps, demeure cependant en son être même après la destruction du corps, de même chaque âme demeure en son unité et, par conséquent, les âmes multiples demeurent en leur multiplicité. »

C’est peu de chose, avouons-le, que cette simple affirmation pour ruiner les objections et dissiper les doutes du lecteur. À ce lecteur, en effet, on a sans cesse affirmé « que la multiplication de la forme provient de la réception de cette forme en quelque chose qui joue le rôle de premier support, tantis que, grâce à la forme, l’espèce demeure la même en des sujets différents ; que ce support qui reçoit la forme, c’est la matière, mais non pas la matière prise de n’importe quelle manière… que cette matière doit recevoir la désignation qui consiste en l’existence sous certaines dimensions, qui donne à cette matière la propriété d’exister ici, maintenant, d’une façon telle qu’on puisse la montrer[2]. »

« Ainsi donc la matière prise sous une quantité déterminée est le principe d individuation[3]. La matière seule, en effet, est le principe d individuation ;… mais il est impossible de la trouver autrement qu’en un corps et sous une certaine quantité ; c’est pourquoi la quantité déterminée est dite principe d’individuation, non pas que cette quantité soit la cause du sujet en lequel elle se rencon-

  1. Sancti Thomæ Aquinatis De unitate intellectus contra Averroem Opusculum, Cap. V.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis De nature materiœ et dimensionibus interminatis opusculum, Cap. III.
  3. Sancti Thomæ Aquinatis De principio individuationis opusculum.