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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/569

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SAINT THOMAS D’AQUIN

Toutes choses ont été créées par Dieu. En résulte-t-il qu’elles ont eu un commencement dans le temps ou bien, au contraire, l’être qu’elles ont reçu de Dieu, l’ont-elles reçu de toute éternité ?

Moïse Maïmonide, puis, après lui et sous son inspiration, Albert le Grand avaient déclaré que le philosophe ne saurait, par argumentation probante, décider entre ces deux alternatives ; ils avaient pensé, cependant, que certaines preuves étaient de nature à faire pencher notre esprit vers le premier parti ; il est vrai que ces preuves, à les bien prendre, ne démontraient nullement ce qu’on en prétendait tirer.

L’opinion de Saint Thomas, en ce débat, s’inspire des pensées de Maïmonide et d’Albert le Grand, mais elle les surpasse en netteté. À maintes reprises[1], cette opinion se formule en ces termes : « C’est de la foi seule que nous tenons cette vérité : Le Monde n’a pas toujours été. Elle ne se peut prouver d’une manière démonstrative. »

Que l’on n’aille pas tenir ce langage : « Le Monde a été fait de rien ; partant, il a eu existence après non-existence ; il faut donc qu’il ait commencé. » On répondrait : « Ceux qui voudraient admettre l’éternité du Monde diraient que Dieu a fait le Monde du néant, non pas parce qu’il l’a fait après le néant, selon ce que nous entendons, nous, lorsque nous parlons de création, mais parce qu’il ne l’a pas fait au moyen de quelque chose. Aussi quelques-uns des tenants de cette opinion ne se refusent-ils pas à user du terme de création, comme on le peut voir en la Métaphysique d’Avicenne. »

« Il est utile de considérer cette vérité, afin qu’on n’aille pas, voulant sans discrétion démontrer ce qui est de foi, donner des raisons qui ne seraient pas concluantes ; ces raisons, en effet, prêteraient à rire, aux infidèles, et ceux-ci penseraient que ce sont raisons de ce genre qui nous portent à croire ce qui est de foi. »

La fermeté avec laquelle Thomas soutenait cette doctrine n’était sans doute pas du goût de tous ses contemporains ; nous le devinons par le titre d’un opuscule qu’il a spécialement consacré à la défense de son opinion : De æternitate mundi, contra murmurantes.

Si la Philosophie est impuissante à démontrer ce qu’affirme la foi, à prouver que le Monde a eu commencement, il lui appartient, cependant, de ruiner les raisons par lesquelles certains philosophes ont cru qu’ils établissaient l’éternité du Monde. Thomas d’Aquin trouve donc devant lui, à titre d’objections qu’il lui faut

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Summa theologica, Pars prima, quæst. XLVI. art. II : Utrum mundum incœpisse sit articulum fidei. — Quœstiones quodlibetales, quodlibel III, art. XXXI ; quodlibet XII, art. VIII.