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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/57

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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

Créateur. Seul, le Créateur n’a d’aucune manière commencé d’être ; il est donc seul la véritable éternité… Ce n’est pas la vraie éternité que celle qui, d’une manière ou d une autre, a commencé d’être ; c’est seulement une participation à la véritable éternité, à celle qui est ἄναρχος, à celle qui n’a aucun commencement. »

Gardons-nous d’attribuer à ces paroles un sens trop absolu ; celles qui viennent aussitôt après[1] nous disent avec quelle précaution il les faut interpréter :

« Si, au sein même de la Cause de toutes les causes, je veux dire de la Sainte Trinité, on peut concevoir un certain ordre de précession (en effet, la Divinité qui engendre et qui envoie précède la Divinité engendrée et la Divinité qui procède de la génératrice et de l’engendrée, bien que ce soit une Divinité une et inséparable) est-il étonnant, est-il incroyable que la Cause de toutes les causes précède tout ce dont elle est cause, et que toutefois ceci ait existé en elle commutabiliter et éternellement, sans aucun commencement temporel ? Si le Père a précédé les raisons des choses qu’il a faites en son Fils à la façon dont celui qui fait quelque chose précède ce qu’il fait ; si le Fils a précédé les raisons que le Père a faites en lui, de même manière que l’art de l’artiste précède les idées que l’artiste fonde au sein de cet art, qui nous empêche de concevoir que l’Esprit-Saint, porté sur l’abîme des causes primordiales que le Père a créées dans le Verbe, ait précédé ce qui le porte ? »

Nous somme avertis, par là, de ne pas prendre trop au pied de la lettre des expressions telles que celles-ci : Le Père et le Verbe ont précédé les raisons que le Père a produites dans le Verbe ; les causes primordiales ont été créées par le Père dans le Verbe. Jean Scot nous invite à comparer cette production des idées à la génération du Verbe par le Père ; il ne sait s’il doit, à cette production, donner le nom de génération ou celui de création ; « genuit, imo etiam creavit », dit-il[2] ; bien souvent, il évite l’emploi des deux verbes engendrer et créer ; il dit fonder (condere). « Les essences primordiales des créatures, écrit-il ont été, avant toutes choses, fondées (eeconditæ) par l’unique et première Cause de toutes choses : elles l’ont été à partir d’elle, en elle et par elle. »

En tous cas, même si l’on gardait le nom de création à l’éternelle génération des raisons au sein du Verbe, il faudrait bien se garder d’assimiler cette opération à la création temporelle des

  1. Joannis Scoti Erigenæ loc. cit., col. 562.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. ii, cap. 20, éd. cit., col. 559.