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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/576

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

et de tous les Néoplatonismes, convaincu que ces morceaux, si divers de figures et de couleurs, finiront par reproduire un harmonieux tableau, une image philosophique du dogme catholique.

Son désir de synthèse est si grand qu’il aveugle en lui le discernement du sens critique. Il ne lui vient pas à l’esprit que, de quelque manière qu’on les découpe et disloque, les doctrines d’Aristote, du Livre des Causes, d’Avicenne n’arriveront jamais à se raccorder les unes aux autres, qu’elles sont radicalement hétérogènes et incompatibles, et surtout qu’elles sont inconciliables avec la loi chrétienne. Lorsqu’entre les fragments juxtaposés, le désaccord éclate trop criant, il ne désespère cependant pas du succès ; il pense seulement qu’il avait établi un rapprochement maladroit et, dans un autre ouvrage, il réunit les mêmes morceaux suivant un ordre nouveau. Parfois, sa conviction que les diverses philosophies sont concordantes le porte à imiter l’enfant dont la main presse un peu trop fort sur les pièces du jeu rebelles à l’engrenage qu’on veut leur imposer ; il force et déforme le sens ou même la lettre de certains passages ; peut-il songer que les principes de Boëce ou ceux du Livre des Causes sont à jamais inconciliables avec la doctrine d’Avicenne ?