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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/59

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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

Jean Scot ne cesse de l’affirmer, que le plein épanouissement de principes que les Pères de l’Église avaient plus ou moins explicitement formulés ; maint passage de Saint Augustin, par exemple, esquisse la figure de ce Verbe dont l’Érigène accuse les traits avec plus de fermeté ; n’en citons qu’un.

« Les idées, écrit l’Évêque d’Hippone[1], sont certaines formes ou raisons jouant, pour les choses, le rôle de principes (principales formæ vel rationes) ; elles sont fixes et immuables, car elles n’ont pas été formées : elles sont donc éternelles et se comportent toujours de la même manière ; elles sont contenues en l’Intelligence divine. Bien qu’elles n’aient pas eu de commencement et qu’elles ne doivent pas avoir de fin, on dit cependant que tout ce qui est susceptible d’avoir commencement et fin, que tout ce qui commence et finit, que tout cela est formé selon ces idées. »

La même doctrine se trouve exprimée, bien qu’en termes moins précis, dans les Éclaircissements que Maxime le Confesseur avait composés sur les Sermons de Saint Grégoire de Nysse et que Jean Scot avait traduits[2].

Toutefois, ce Platonisme chrétien qui relie toutes les idées en une idée unique, qui, au Verbe divin, identifie ce Monde des idées ainsi ramené à l’unité, nul ne l’avait encore développé avec autant d’ampleur, avec autant de détails que le fils de l’Érin.

Toutes les causes primordiales forment, au sein du Verbe, une raison unique de l’Univers, et cette unique raison, c’est le Λόγος, c’est le Verbe lui-même.

« Il est la Cause simple[3], car l’Universalité des choses forme en lui un seul individu exempt de toute séparation ; en d’autres termes, le Verbe de Dieu est assurément l’Unité de toutes choses, l’Unité qui en exclut toute division et toute séparation, car il est lui-même toutes choses.

» Mais, à juste-titre aussi, on le peut concevoir comme multiple, car il se répand à l’infini en toutes les choses qui existent, et c’est cette diffusion même qui fait subsister toutes choses. »

De même que l’Érigène avait offert à notre méditation cette mystérieuse pensée : En même temps que créateur, Dieu est créature, car il se fait lui-même, il nous propose maintenant cette autre apparente antinomie, qui n’est qu’un nouvel aspect de la

  1. Sancti Aurelii Augustini Octoginta-tres quæstiones, quæst. XLVI.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Version ambiguorum Sancti Maximi, cap. II (Joannis Scoti Erigenæ) Opera, éd. cit., Coll. 1204-1205)).
  3. Joannis Scoti ErigenæDe divisione Naturæ Lib. III, cap. 9 ; éd. cit., col. 642.